lundi 12 avril 2021

La fin du Café de la Régence


Lors de l’écriture de mon livre sur l'histoire du Café de la Régence, je fus surpris par la difficulté de trouver des informations au sujet de la fin du Café de la Régence.

Le nombre de journaux numérisés n’était pas le même qu’actuellement, et lors de mes recherches aux archives de Paris, le seul élément tangible que j’avais trouvé était dans le bottin du commerce de Paris, où à l’adresse de la Régence, au 161 rue Saint-Honoré, on trouvait dans le bottin de 1955 l’Hostellerie Guillaume le Conquérant


Toujours à la recherche d’éléments utiles à mon sujet d’étude, j’ai fini par découvrir la fin de l’histoire de ce lieu unique pour le jeu d’échecs.

Depuis la scission de 1918 et la création de l’association des échecs du Palais-Royal, le Café de la Régence n’apparait plus comme un centre majeur du jeu d’échecs à Paris. Il reste néanmoins un lieu de pèlerinage, si l’on peut dire, pour beaucoup de touristes et joueurs d’échecs très intéressés par l’atmosphère de ce lieu et la fausse relique de la table de Napoléon. 

Néanmoins le gérant du lieu depuis 1922, Pierre Octave Brun, réussit à relancer cette activité échiquéenne au cours des années 1930. Les joueurs d’échecs s’y retrouvent, quelques événements s’y déroulent (simultanées, rares tournois), et la dernière trace d’activité échiquéenne avérée date de 1943.

Bulletin de la FFE 1943 - Document communiqué par Etienne Cornil

En 1946, Pierre Octave Brun cède son établissement et c’est là que démarre la fin du Café de la Régence. Dans les revues d’échecs, je pense en particulier à l’Échiquier de Paris, je n’ai trouvé aucune trace du Café de la Régence comme centre parisien du jeu d’échecs après la Deuxième Guerre mondiale et dans les années 1950. Il doit sans doute rester quelques courageux pour y jouer aux échecs et perpétuer cette tradition, mais cela reste anecdotique à mon avis.

En 1953 (et depuis plus de 40 ans à ce moment-là), le Café de la Régence occupe le 161 et le 163 de la Rue Saint-Honoré, au rez-de-chaussée et au 1er étage, c'est-à-dire toute la photo de gauche à droite. Le restaurant est très grand ! Au 161 se trouve aujourd'hui l'Office du tourisme du Maroc et au 163 un restaurant Japonais. 

Nous sommes en 1953, le Café de la Régence se trouve au 161-163 rue Saint-Honoré, il occupe le rez-de-chaussée ainsi que le 1er étage. Plusieurs célébrités parisiennes décident de créer un nouveau club à la mode.

Le journal Paris Presse L’Intransigeant du 27 septembre 1953 nous indique :

« Juliette Greco, Philippe Lemaire, Lise Deharme, Lise Delamare, Geneviève Fath fondent un club avec Marc Doelnitz.
Marc Doelnitz, créateur avec Gréco et Anne-Marie Cazalis du « Tabou », animateur de l’« Œil de Bœuf », du « Bœuf sur le Toit », du « Crazy Horse Saloon » et plus récemment du « Procope » va lancer un nouveau club.
« Celui-ci, dit-il, où tous les acteurs se retrouveront le soir »
Ce club siégera au premier étage du Café de la Régence, au Palais-Royal.
Dans le comité composé de Lise Delamare, Jacques Charron, Lise Deharme, Geneviève Fath, Juliette Gréco et Philippe Lemaire ces derniers donneront le côté sérieux du meilleur jeune ménage de Paris ».

En 1953, deux Grands-Maîtres soviétiques se rendent à Paris et constatent l’absence du jeu d’échecs au Café de la Régence. 

Projetons-nous en 1955, le Café de la Régence est alors devenu un lieu à la mode où se croise le Tout-Paris.

Source Retronews - BNF

Dans Paris-Presse L’Intransigeant, le 2 janvier 1955 :

« Les provinciaux ont sauvé les réveillons de Paris… Car les Parisiens, eux, ont préféré passer la nuit les uns chez les autres.
Par Jean-François Devay

(…) Il y a eu du monde partout, bien entendu, mais nous étions loin, cette nuit, de l’allégresse quasi hystérique de l’an dernier quand, à sept heures du matin, le Tout-Paris s’écrasait dans les boîtes de nuit.
(…) A « Cour et Jardin », le club de la Régence où les stars vont tous les soirs de la semaine, on les cherche vainement toute la nuit. Adieu Jean Marais, Michèle Morgan, la douzaine de duchesses, les trois ministres et le Tout-Paris des générales qui s’y déchainèrent le 1er janvier 1954. Cette nuit, il n’y eut pour représenter les acteurs qu’Ivan Desny, comédien français d’origine russo-britannique dont le cinéma allemand a fait son jeune premier numéro un. Arrivé tout droit d’Allemagne, il ne savait pas. Jacques Charon, venu un quart d’heure, lui expliqua que, cette année, les comédiens se couchaient tôt (…) »

Photo de Claude Geiger
Notez le nom "Cour et Jardin" allusion directe au théâtre.

Ainsi le club « Cour et Jardin » a rencontré un beau succès en 1954 et un peu moins en 1955.

Photo trouvée sur Ebay et datée de 1955.

Point de joueurs d’échecs, mais plutôt le Tout-Paris comme il est dit. Ce succès est de courte durée, car dans le journal L’Aurore du 26 décembre 1955 on apprend :

« C’est signé, c’est définitif et c’est navrant pour les vieux Parisiens : le Café de la Régence a été vendu à une société archiconnue pour les nombreux cafés qu’elle a déjà édifiés dans notre capitale.
M. Bataille, l’ancien propriétaire de la Régence, voulait transporter le club de gens de théâtre, « Cour et Jardin », situé au-dessus de son restaurant à l’ouest de Paris et faire exécuter la décoration de ses nouveaux locaux par Marc Doelnitz. Mais ce dernier, à cette nouvelle, a eu une crise de rage, car il affirme que le club installé loin de la Comédie-Française n’aurait plus aucun succès »

Photo trouvée sur Ebay et datée de 1955.

Le Bottin du commerce de Paris était manifestement déjà au courant au moment de sa parution. La fin est confirmée dans le journal Le Semeur du 8 janvier 1956

« Ce splendide échiquier, qui fut la propriété de Napoléon, est encore exposé dans une salle de l’historique « Café de la Régence », siège du club des gens de théâtre « Cour et Jardin », qui va bientôt disparaitre pour céder la place à un restaurant moderne. »


La photo, de très mauvaise qualité, représente bien un échiquier, alors que la relique connue jusqu’à présent était la table qui le porte. Espérons que la table n’a pas été détruite au profit de cet échiquier… A ce jour l’endroit où se trouve la table de Bonaparte reste un mystère. Pour l’échiquier, c’est la première fois que j’en entends parler, et il est permis de douter sur son appartenance passée.

Le rideau tombe définitivement sur le Café de la Régence et sa riche histoire…

A noter qu’en 2017, un restaurant nommé « Le Café de la Régence » s’est ouvert un peu plus loin, au 167 rue Saint-Honoré. Ce lieu n’a strictement aucun lien avec la Régence historique. Je doute qu’ils apprécient qu’on sorte un jeu d’échecs pour y jouer. Par contre ils n’ont pas hésité à se servir des photos du Café de la Régence historique.

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