Les Trois Glorieuses, tel est le nom de la Révolution de juillet 1830.
La place du Palais-Royal a été un lieu avec des très violents combats et donc forcément le café de la Régence en a subi les conséquences.
(La liberté guidant le peuple - Delacroix 1830)
Dans la monographie de Charles Mallet - Paris, café de la Régence paru en 1893 (source BNF), l'auteur indique
(…) Pendant les journées de juillet 1830,
il eut à subir le choc d’un combat très vif qui se livra devant ses portes ; les
balles frappèrent sa façade qui en souffrit sérieusement. On ne s’en préoccupa
nullement à l’intérieur ; on ne discuta pas même les chances des
combattants.
Comment est-il possible que les joueurs d'échecs ne furent pas concernés par les combats ? A mon avis il n'en fut rien (voir le prochain article sur les journées de juillet 1830), et je doute même que les joueurs d'échecs furent présents aux plus forts des combats du 28 et 29 juillet 1830.
En quelques lignes, Charles Mallet a simplement ajouté une page imaginaire à l'histoire du café de la Régence.
Ceci me permet de rebondir sur le petit conte suivant paru dans le journal "La Semaine" du 17 juin 1830.
Nous sommes à un mois des évènements et la critique vis-à-vis du Roi n'est pas encore possible ouvertement, mais elle se fait de plus en plus précise.
Ce petit comte en est une illustration.
LA
SEMAINE
Édition du 17 juin 1830
JOURNAL
DE
SCIENCES, ARTS, LITTÉRATURES, SPECTACLES, INDUSTRIE, ANNONCES, etc
VARIÉTÉS
LE
ROI DE BUIS
CONTE
FANTASTIQUE.
(La Semaine - Source Gallica BNF)
« Tu
seras roi » dit un jour un tourneur à un brut morceau de bois oublié
depuis longtemps dans son atelier.
C’est
ainsi que jadis les sorcières, accroupies autour d’une chaudière où
bouillonnaient mille ingrédients infernaux, avaient prédit à l’ambitieux
Macbeth sa couronne sanglante.
Et,
en effet, le tourneur voulait achever un jeu d’échecs ; il avait déjà fait
huit pions, une reine, deux cavaliers, deux tours, deux fous, et il ne lui
restait plus qu’une pièce à faire ; il avait taillé le tout dans une belle
racine de buis coupée par de riches linéaments où l’imagination pouvait rêver
mille dessins bizarres.
C’est
alors qu’il dit, en s’adressant au dernier fragment de cette racine, ces
paroles prophétiques qui renfermaient l’avenir d’une couronne, et que,
saisissant d’une main hardie le tour immobile, il en dirigea le tranchant
rapide sur le bois informe.
Après
mille cercles précipités, et lorsque la main de l’ouvrier achevait de festonner
la couronne de cette majesté d’échiquier, quel fut son étonnement en sentant
palpiter dans ses doigts cette petite création de son art mercenaire.
Par
un reste d’habitude d’enfance, notre tourneur se signa précipitamment en posant
sur l’échiquier le petit monarque qu’il s’attendait à voir disparaître devant
le signe de la rédemption ; mais son attente fût trompée, et il fût ainsi
de crainte en entendant l’enfant de ses œuvres s’exprimer ainsi :
« Tu
as dit que je serais roi, me voilà ! Montre-moi mon royaume, où son mes
gardes, mes sujets, mes trésors et mes courtisans, mes piqueurs et mes
chiens ?
« Est-ce
là mon empire, cette planche divisée en compartiment où je vois d’autres
individus issus de même souche que moi, et prêts à m’entourer de leur double
haie ?
« Qui
vient se placer à côté de moi ? Une reine, dites-vous. Me voilà donc comme
tous les souverains, condamné à un hymen politique, épousant peut-être
comme Pierre III une Catherine, comme Louis VI une Eléonore, et obtenant à
grands frais de mon clergé des indulgences pour mes Dubarry et mes Pompadour.
« Vous
avez placé deux fous auprès de moi, triste et véritable emblème des cours des
souverains et de tant de ministres, agissant follement, frappant le peuple de
leurs marottes, jusqu’au jour où ils font place à d’autres fous, renversés à
leur tour.
« Ces
cavaliers que je vois charger sur le peuple avec ce courage facile que donne la
force et la certitude du triomphe, sont-ils destinés à me tracer une route
sanglante dans le cœur de mes sujets ? Ces tours qui s’élèvent aux confins
de mon royaume comme de menaçantes bastilles sont-elles élevées pour renfermer
ceux que révolte le despotisme, et qui ne veulent voir entre les mains d’un
monarque qu’un sceptre protecteur au lieu de la main de fer qui a pesé sur tant
de nations ?
« S’il
en est ainsi, pourquoi m’avoir donné cette couronne embarrassante et m’avoir
jeté dans cette vie agitée où tour-à-tour fous reines et cavaliers dirigent mes
pas, forcent mes démarches, et compromettent ma sûreté sous le respectueux
prétexte de veiller à mon salut.
« Ne
vois-je pas cependant que c’est à leurs intérêts qu’ils veillent, qu’ils ne me
défendent que par égoïsme, qu’ils se servent en me servant, et qu’ils ne
craignent ma chute que parce qu’elle entraînerait la leur, si l’on me faisait
échec et mat.
« Mat !!!
Ce mot terrible me fait frissonner, et lorsque je songe que de simples pions peuvent
braver mes brillantes cohortes et me faire mat, je suis prêt à tomber sur
l’échiquier de dépit et de saisissement… »
En
effet, le pauvre petit roi pâlissait à vue d’œil, et perdait la vive couleur
jaune dont il pouvait tirer vanité ; en vain l’on s’empressa de le
secourir en lui versant sur sa tête couronnée tout un flacon de gouttes
d’Hoffmann ; bientôt on le vit rouler sur le sol, privé du mouvement et de
la parole : ce n’était plus qu’un roi de buis.
Et
le tourneur, le prenant sans façons dans ses mains grossières, jeta le
souverain dans la boîte de l’échiquier pêle-mêle avec les fous, la reine, les
pions, les tours et les cavaliers.
« Parbleu,
se dit-il, si j’étais roi, je sais un moyen pour ne pas être mat ; je
chasserais les égoïstes courtisans, je modérerais le zèle de mes cavaliers, je
renverserais mes bastilles, et surtout, je prendrais soin de ne pas choisir des
fous pour ministres ; j’abolirais l’impôt sur le vin, que l’on vend trop
cher au cabaret, j’exempterais les tourneurs de tout impôt, et je ferais en
sorte que personne n’aurait envie de me faire mat. »
Et
le tourneur se tut, car il entendit à ce mot un profond soupir dans la boîte. Il l’ouvrit
précipitamment, et y chercha en vain le pauvre prince, qui avait disparu.
Il
le chercha dans sa boîte, dans son atelier, chez ses voisins, chez sa
maîtresse, au café de la Régence, au café Valois, chez tous les tabletiers du
royaume, et il apprit enfin que le chancelier de l’échiquier en avait fait
présent à lord Wellington, occupé, pour le présent, à réunir une collection de
nouveaux candidats pour la royauté de la Grèce.
« Si
on le choisit, se dit alors en lui-même le tourneur, ce sera un roi assez
maniable, et c’est ce qu’il faut à l’anglais ; au surplus, je lui
demanderai sa pratique, et il me l’accordera, car il me devra de na pas être le
souverain le plus mal tourné. »
Et
notre homme, se frottant les mains, s’en retourna chez lui tourner des rois et
des pions, des fous et des reines, mais il n’en entendit plus parler ni soupirer.
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