lundi 22 mars 2021

Vidéo et résumé de la conférence du centenaire de la FFE




Voici la vidéo de la conférence sur Zoom du samedi 20 mars 2021 à l'occasion du centenaire de la FFE, suivi d'un résumé des différentes interventions, par Frank Hoffmeister.




José A. Garzon

Il est connu que l'Espagnol Lucena publia en 1497 le premier livre écrit avec des nouvelles règles sur les échecs modernes. Cependant, comme l'a montré José A. Garzón (Valence) dans sa présentation minutieuse, Lucena s'est largement inspiré de Francesc Vicent  (1475), dont le manuscrit est aujourd'hui perdu. De plus, le manuscrit de Göttingen (probablement vers 1500), écrit en latin, utilise également une grande partie du même matériel de – Vicent  et Lucena. Fait très intéressant, M. Garzón a également évoqué un autre manuscrit de la même époque, à savoir le « document de Paris » (détenu par David de Lucia). Ce document contient aussi le nom de « Lucena » à la fin d'un des chapitres - selon M. Garzón, il s'agit d'une référence et non d'une signature. Enfin, il se réfère également à un quatrième manuscrit, écrit en allemand par un auteur inconnu, qui utilise à nouveau une grande partie du matériel de Lucena, mais aussi d'autres aspects dérivés de Damiano (Rome, 1512). Il est ainsi possible de conclure qu'il existe une origine commune pour les échecs modernes : un matériel très similaire est utilisé dans ces premiers manuscrits, présentés dans quatre langues différentes (espagnol, français, latin, allemand).

Herbert Bastian

Le manuscrit dit de « Chapais » (en Français, avant 1780) a fait l’objet de la présentation d’Herbert Bastian (Sarrebruck). Ce manuscrit se trouve actuellement au château de Kórnik en Pologne, car il appartenait à Tassilo von der Lasa, qui l'avait  acquis à Paris en 1854/55. Le manuscrit contient de nombreuses études de fin de partie et utilise une notation singulière. Il est signé « Chapais, négociant à Paris ». M. Bastian, cependant, pense qu’il s’agit d’un pseudonyme, et a identifié toute une série d’indices dans le texte, tels que l’immense connaissance de la physique et des mathématiques de son auteur. Ayant ainsi cerné son profil, Bastian émet l’hypothèse de Gaspard Monge comme candidat le plus probable. M.Bastian montre en détail les particularités de l'écriture manuscrite de Chapais et de Monge et arrive à la conclusion que le célèbre mathématicien français et franc-maçon doit avoir écrit ce manuscrit. Il faut noter que si ce manuscrit avait été imprimé à cette époque, la théorie des fins de partie aurait reçu un sérieux coup de pouce, car Chapais discute des concepts d'opposition, de carrés et de marche indirecte du roi, par exemple.

Dr Richard Eales

Le personnage clé des échecs français au 18ème siècle est Philidor. Le Dr Richard Eales (Kent) a retracé sa biographie qui oscille entre la composition musicale et le jeu d’échecs. De toute évidence, la deuxième édition de Philidor de son « Analyse » a été planifiée longtemps à l'avance avant de se retrouver au Royaume-Uni pour une seconde fois et se faire publier à Londres en 1777. M. Eales a également souligné que l'influence de Philidor se trouve grandement renforcée par les écrivains britanniques ultérieurs, qui utilisèrent son matériel pour leurs manuels. Il faut également souligner que George Walker l'a popularisé en publiant ses parties et en appelant même le premier magazine d'échecs britannique (éphémère) « le philidorien ». Un contrepoids indirect a été fourni par quelques auteurs, qui tentèrent de donner plus de place à « l'école italienne » en traduisant et en utilisant les textes de l'école de Modène. Cependant, selon les mots d’Eales, Philidor reste le père fondateur des échecs en France et en Angleterre.

Dr Vlastimil Fiala

L’influence de Philidor se propagea dans l'Est de l’Europe. Le Dr Vlastimil Fiala (Olmouc) a présenté avec Alexander Petroff le joueur russe le plus influent du 19e siècle, également surnommé « le Philidor du Nord ». Ceci provient de son traité de 1824, dans lequel Petroff traduit une grande partie de l’œuvre de Philidor en russe, avant d’y ajouter ses propres réflexions qui montrent, cependant, quelques points de divergences par rapport à Philidor. Par exemple, Petroff accepte les gambits et est convaincu de la nécessité d’une défense active. M. Fiala a également évoqué en détail le seul voyage « occidental » de Petroff en 1863, reconstitué à partir d'une lettre publiée dans Shakhmatny Listok 1863. Il rencontre Morphy à Paris, mais malheureusement les deux géants n'ont pas joué de parties ensemble.

Pierre Baudrier

Herbert Bastian

Jean Olivier Leconte

Après Philidor, le sceptre des échecs français passe au brillant Deschapelles. Jean Olivier Leconte (Paris) a présenté les recherches de Pierre Baudrier, Herbert Bastian et lui-même sur le sujet. Après une carrière militaire sous Napoléon, au cours de laquelle il perd sa main droite, Deschapelles se concentre sur les échecs quelques années, mais seuls 9 de ses parties et 1 position sont connues aujourd'hui. Sur l’échiquier, Il était principalement intéressé par l’attaque et gagnait sa vie par les mises engagées pour chaque partie. En 1822, il quitte la scène échiquéenne après avoir été battu par son élève La Bourdonnais, et se tourne vers le Whist, ancêtre du Bridge, plus rémunérateur. Un point crucial et encore flou concerne son orientation politique. Par exemple, alors que sa famille était proche du roi Charles X, il fut reconnu comme organisateur d’une insurrection républicaine en 1832, mais jamais puni pour ses actes (tandis que d'autres participants aux émeutes furent mis en prison). Après sa mort, son ami O’Reilly publie leur projet commun de constitution en faveur d'un système démocratique, alors que certains prennent leurs distances avec le passé ambigu de Deschapelles. Ainsi, distinguer le mythe de la réalité est encore difficile aujourd'hui pour cette personnalité extraordinaire des échecs français.

Professeur Frank Hoffmeister

Après la mort de La Bourdonnais, qui remporte une série de matchs contre McDonnell en 1834 à Londres, Pierre Saint-Amant prend la place de premier joueur au Café de la Régence. Mais bientôt il est remplacé par Lionel Kieseritzky, suivi de Daniel Harrwitz et enfin Samuel Rosenthal. Le professeur Frank Hoffmeister (Bruxelles) a présenté de nouveaux aspects sur leur arrivée et leur intégration à Paris. Selon lui, il existait une certaine résistance aux joueurs professionnels étrangers de la part de membres de l'élite française des échecs. Dans le même temps, les amateurs se félicitaient de la possibilité de rencontrer les meilleurs joueurs sur l’échiquier - et l’habitude de donner des exhibitions telles que des simultanées, y compris des simultanées à l’aveugle, a assuré une vie décente à ces professionnels. Néanmoins, Rosenthal est un cas particulier, et une figure controversée, car il provoqua un schisme avec les autres joueurs français en 1885, à la suite d’un désaccord sur un coup lors du match par correspondance contre Vienne. Rosenthal a également « privatisé » le congrès français de 1900 dans son « Grand Cercle », ce qui allait à l'encontre des efforts de vulgarisation des échecs auprès du grand public.

Tomasz Lissowski

Tomasz Lissowski (Varsovie) a ajouté certains aspects très intéressants sur plusieurs joueurs polonais, qui ont également émigré à Paris pendant cette période. On peut citer notamment Jean Taubenhaus et Stanislaus Sittenfeld. M. Lissowski a souligné que ces joueurs sont venus à Paris pour diverses raisons, très probablement parce que la Pologne était à l'époque divisée entre la Prusse, l'Autriche et la Russie. Taubenhaus faisait partie des meilleurs joueurs de Paris et a joué quelques tournois internationaux, mais n'a jamais réellement percé parmi l’élite mondiale.

Jean Olivier Leconte

Jean Olivier Leconte (Paris) a ensuite esquissé dans une présentation très attrayante les années précédant la création de la Fédération Française des Échecs en 1921. Les tentatives de rapprochement des joueurs français débutent en 1867, et le premier tournoi « national » a lieu en 1880 à Paris. Cependant, l'adhésion des régions est faible et le schisme de 1885 entre Arnous de Rivière et Rosenthal est une autre pierre d'achoppement. L'arrivée de David Janowski a ajouté un autre joueur de premier plan à la scène française, mais il a fallu attendre 1914 pour que la fondation d'une fédération nationale soit planifiée. L’assemblée générale constitutive de 1914 ne put avoir lieu en raison du déclenchement de la Première Guerre mondiale et la France dut attendre l'initiative du Cercle Philidor, à Paris, et son fondateur Henri Delaire pour fonder définitivement la Fédération le 19 mars 1921.

Denis Teyssou

Le rôle d'Alexandre Alekhine en France a été excellemment étudié par Denis Teyssou (Paris), qui a mené des recherches minutieuses sur certains cahiers d'Alekhine des années 1940. Il montre qu'Alekhine écrivait non seulement les tristement célèbres articles antisémites « Arisches und jüdisches Schach » dans le Pariser Zeitung en 1941, mais qu'il dirigeait également une chronique régulière sur les échecs dans ce journal de février 1941 à mai 1942. Alekhine tenta de quitter la France via le Portugal pour jouer un autre match avec Capablanca à l'étranger, mais son voyage s'est terminé prématurément, son visa portugais étant expiré. Il a ensuite joué quelques tournois (Munich 1941 et 1942, Cracovie 1942) dans les zones contrôlées par les nazis. Selon M. Teyssou, Alekhine craignait d'être livré en Union soviétique et, lorsqu'il arriva à Madrid pour un autre tournoi en 1944, il fit semblant d'être malade, afin de rester en Espagne. Il essaya de se réhabiliter après la guerre et mourut en 1946 à Estoril dans des circonstances bien connues dans un hôtel.

Georges Bertola

Georges Bertola (Lausanne) a donné un aperçu complet des 25 premières années de la Fédération Française des Échecs (1921 – 1946). Dans sa phase de construction, les échecs français se sont énormément développés, notamment avec l’initiative de Pierre Vincent, qui joua un rôle déterminant dans la fondation de la FIDE en 1924 à Paris. Cependant, les problèmes financiers étaient récurrents. De plus, quand Alekhine devint Champion du Monde en 1927, il refusa de laisser la gestion de son titre par la FIDE, comme le souhaitait Vincent. Alekhine a même ignoré la Fédération française lorsqu'il organisa son match avec Bogoljubov en 1929, qu'il a interrompu pour se rendre au congrès de la FIDE à Venise en tant que délégué de la France. Autre détail à noter, Alekhine a joué pour l'équipe de France aux Olympiades en 1930, 1933 et 1935, mais a également accepté d’entrainer l'équipe allemande pour le tournoi de Munich en 1936 ! Les échecs français devinrent un peu plus apaisés avec l'élection de Pierre Biscay (1932-1955).

Frank Hoffmeister - 21/03/2021

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