mercredi 28 septembre 2022

Lettre d‘Arnous de Rivière à Tassilo von der Lasa en date du 18 mai 1854

Voici la plus ancienne lettre disponible au sujet de la correspondance entre Jules Arnous de Rivière et Tassilo von der Lasa. Elle date du 18 mai 1854, et provient de Kornik en Pologne (voir mon précédent article). Ce n'est pas forcément la plus intéressante, le meilleur est à venir !
 
Portrait de Jules Arnous de Rivière
Extrait d'une gravure publiée dans le journal Britannique Illustrated London News du 14 juillet 1855
 
Qui sont les protagonistes de cette lettre ?

En 1854, Jules Arnous de Rivière est un jeune homme de 24 ans, d’un très bon niveau aux échecs, qui s’adresse à Tassilo von der Lasa, un diplomate au service de la Prusse âgé de 36 ans, mais également un des meilleurs joueur d’échecs au monde à cette époque. Jules Arnous de Rivière sera par la suite, et jusqu’à son décès, un personnage majeur du jeu d’échecs en France jusqu’au tout début du XXe siècle.
 
Tassilo von der Lasa
Il est fait mention « du Cercle », de quoi s’agit-il ?

Jusqu’en août 1853, le propriétaire du Café de la Régence, Claude Vielle, organise son établissement en plusieurs parties. Au rez-de-chaussée se trouve le café proprement dit, avec le tout-venant aux échecs, et au premier étage se trouve un cercle privé, là où a eu lieu en 1843 le match entre Saint-Amant et Staunton.

En août 1853, le jugement d’expropriation du Café de la Régence est publié dans la presse. En effet, la Place du Palais-Royal va être totalement revue avec notamment le percement de la rue de Rivoli et le dégagement du Palais du Louvre, nous sommes au début des grands travaux parisiens sous Napoléon III.
 
Ainsi, le Café de la Régence se retrouve provisoirement au 21 rue de Richelieu (jusqu’en 1855). Et de son côté, le Cercle des échecs, qui était depuis plus de 10 ans au 1er étage du Café de la Régence quand il était place du Palais-Royal, se réfugie au-dessus du Café de Lyon (au Palais-Royal), sous le nom de « Cercle Philidor » (encore un !)...

Que contient la lettre ?

Il est fait mention de deux brochures sur les règles du jeu d’échecs. En effet, à l’époque, les règles sont loin d’être uniformisées partout en Europe. Il suffit par exemple de citer la règle particulière du Roque en Italie (évoquée dans la lettre), où le Roi peut aller dans le coin de l’échiquier (c'est-à-dire en h1 au lieu de g1). Le Café de la Régence dispose de ses propres règles pour jouer aux échecs, que l’on trouve par exemple dans une brochure écrite en 1844 par Claude Vielle, le propriétaire des lieux.
 
Jules Arnous de Rivière évoque également sa chronique d’échecs qu’il a démarré dans le journal « L’illustration ». Lionel Kieseritzky, joueur le plus fort d’alors au Café de la Régence, est décédé en mai 1853, et depuis 1851, la revue d’échecs « La Régence » dont il était le rédacteur principal, a disparu et n’a pas encore trouvé de repreneur. 
 

Par Claude Vielle

Voici le texte de cette première lettre.
 
Paris, 18 mai 1854        

Monsieur,

Je viens vous remercier au nom du Cercle (mais j’ajouterai avec plus de vérité en mon propre nom, car le Cercle est inanimé) de l’envoi de deux brochures de M. Jaenisch « Règles du jeu des Échecs, etc » et je crois pouvoir vous dire que si les Amateurs Français ne prennent pas de ce travail la connaissance approfondie qu’il mérite, ils seront du moins assez sages pour donner leur adhésion pur et simple aux lois que vous avez faites et qui sont déjà enseignées en France pour la plupart.

Cependant quelques membres du Cercle ont entrepris la lecture de ce code nouveau et l’ont trouvé fort bon, fort utile ; il est certes bien désirable que l’on s’entende sur tous les points et unanimement (sur le Roc, la prise des Pions au passage, le système de notation et la durée des parties) ; j’ai le ferme espoir que vous réussirez à mener à bonne fin cette entreprise et si mon concours – tant insignifiant qu’il soit – vous paraitrait utile, je vous prie, Monsieur, de disposer de moi avec une entière liberté.

Maintenant permettez-moi de vous demander pour la publication que j’ai commencée dernièrement dans l’Illustration Française deux ou trois de vos parties. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’elles seront lues avec admiration par tous les vrais amateurs en France et reçues par moi avec reconnaissance.

Depuis la mort de M. Kieseritzky, personne ne s’était occupé de publier sur les échecs, je me suis dévoué à cette tâche très pénible ici, je vous assure, à cause de l’apathie du plus grand nombre. M. Staunton est en correspondance avec moi depuis que j’ai quitté Londres, voilà bientôt six semaines.

Mon nom vous étant très méconnu je me recommanderai, Monsieur, de deux noms qui vous sont amis. Pendant mon séjour en Angleterre j’ai rencontré souvent M. John Wallis qui est un intime dans la maison de mon oncle. Il m’a longuement parlé de vous et me disait que déjà à l’Université de Berlin (?) vous étiez un grand joueur d’échecs. M. Gréville se rappelle par mon intermédiaire à votre bon souvenir.

Agréez, Monsieur, l’expression des sentiments que je vous porte comme amateur passionné des Échecs, ce sont ceux du respect et d’une admiration sans bornes.
Personnellement j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre tout dévoué serviteur.

J.Arnous de Rivière
95 Faubourg St Honoré
Paris


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