mercredi 7 septembre 2022

Le jeu d'échecs brise les stéréotypes

Le championnat de France féminin d’échecs de 1934 est organisé par le journal Comoedia dans ses locaux du 26 avril au 9 mai 1934. Jeanne Léon-Martin y tient la chronique du jeu d’échecs et son mari y travaille, ce qui a sans doute favorisé les choses.
 

A cette occasion un journaliste de la revue La gazette photographique se rend sur place. L’intérêt essentiel de son article repose sur les trois photos qu’il contient. Rare témoignage de ce championnat. Voici comment Jeanne Léon-Martin en rapporte le contenu :
 
Comoedia 17 juin 1934 - Retronews

Championnat de France féminin.
Le dernier numéro de la Gazette Photographique (Modern Studio, 66, boulevard Saint-Michel), publie d'intéressantes épreuves photographiques sur le récent championnat féminin. Nous recommandons surtout à nos lectrices l'interview... ultra-fantaisiste qu'illustrent ces photographies ! 
Jeanne LÉON-MARTIN

Effectivement cet article contient pas mal de … fantaisies. Pour ma part c’est la phrase suivante que je retiens :
(…) et l'on constate, non sans surprises, que les dames savent rester des heures entières sans bavarder (…)
 
De la misogynie, reflet d’une certaine époque et sans aucun doute toujours d’actualité, et qui ne favorise pas le jeu d'échecs auprès des femmes. 
 
Rappelons par exemple qu'en 1934 les femmes n'ont toujours pas le droit de vote et ce sera seulement en 1965 que les femmes auront le droit d'avoir leur propre compte en banque sans avoir l'autorisation de leur mari ! Ou bien encore il faudra attendre la constitution du 27 octobre 1946 pour voir le principe d'égalité des droits entre les femmes et les hommes inscrit dans le préambule. « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l'homme »...


La gazette photographique, Revue d'informations professionnelles et d'amateurs
1934, Mai / Juin (n°17) - BNF


La Coupe finale du championnat féminin de la Fédération Française des Échecs.

Les Salons de Comoedia, avenue des Champs-Elysées, réunissaient le 8 mai, tous les joueurs et joueuses d'échecs. Nombreux étaient les Messieurs, venus par courtoisie assister au championnat de dames, qui, seules avaient le droit de déplacer les figurines de buis.

Mlle Maud Flandin et Mme Tonini. 
Il est à noter l'absence de pendule.
 
Après de longues heures, passés dans un silence le plus parfait, la coupe de championnat fut gagnée par Mlle Maud Flandin qui devient championne de France. Comme partenaire, notre nouvelle championne avait Mme Torini (Italie) (NDLR – Alice Tonini) classée première du tournoi et gagnante de la superbe coupe de Comoedia. 

Mme Torini est une joueuse réputée qui participa à de nombreux tournois d'échecs internationaux : Angleterre, Italie, etc., obtenant partout de très beaux classements. Nous avons pu voir Mme Léon Martin, présidente du Comité Féminin de la Fédération Française des Échecs. Avec grande amabilité, Mme Léon Martin voulut bien nous donner quelques informations sur le mouvement qu'elle préside et nous avons pu ainsi nous familiariser quelque peu avec le « Noble jeu ».

C'est ainsi que nous avons appris (car à notre grande honte, nous n'en savions rien) que le jeux des  Rois, qui restera le Roi des Jeux est apparu pour la première fois au Siège de Troie ! Le premier cheval de buis serait venu de là... 
 
A noter qu'on retrouve quasiment cette même photo dans le journal Comoedia du 11 mai 1934 (ci-dessous)
 

Mme Léon Martin m'assura même que le jeu remonte à la mythologie et qu'on attribue son invention à la déesse Laissa (NDLR – Caïssa) ! Quoi d'étonnant à ce que les dames s'en divertissent ! Poursuivant notre indiscrétion sur l'origine des échecs, nous apprîmes que ce noble jeu était pratiqué dans les harems, que les Druides le connaissaient et les Arabes aussi. 

Voilà déjà qui donne de l'intérêt à ces figurines en buis ; mais il y a mieux et plus près de nous, des noms fameux s'y intéressèrent. Napoléon jouait en effet aux échecs avec Mme de Remusat et cela, paraît-il, l'aida à gagner bien des batailles, si l'on se rapporte aux calculs stratégiques qu'imposent le « Noble Jeu ».
Régina Camier, Colette, Mme Delarue-Mardrus, se passionnent pour les échecs, Brigitte Helm le joue dans I' « Atlantide » et Cécile Sorel en est non seulement une fervente admiratrice, mais le joue, paraît-il, royalement !

En somme, ce jeu convient aux darnes aussi bien qu'aux hommes et l'on constate, non sans surprises, que les dames savent rester des heures entières sans bavarder, ce qui est tout à leur avantage.

Mme Léon Martin nous a même déclaré que les tournois féminins d'échecs étaient beaucoup plus disciplinés que les championnats masculins. Voilà, au moins, une assurance qui présente à l'avantage des joueuses une raison de plus pour leur donner le droit de prendre part au « Noble jeu » réservé, semblait-il, jusqu'à ces derniers temps, aux hommes. Voilà donc encore un point où le sexe fort perd du terrain.
Vraiment, si les hommes n'y prennent garde, quand il s'agit de jeux avec les dames, ils se feront damer le pion ! 
 
Mme Léon-Martin, présidente de la Fédération Française des Échecs (Comité féminin).
 
Voici donc cette manifestation terminée, et le Challenge de Liberté (quel beau motif pour des dames) gagné par Mlle Flandin, championne de France. Mlle Paulette Schwartzman qui, pendant 7 ans, a toujours été classée première sans perdre une seule partie s'est classée troisième. En quatrième ex-aequo, nous voyons Mme Delamarre de Mouchaux (NDLR – Delamarre de Monchaux), Mme la doctoresse Jacobson et Mme Valentin et en septième, Mme Tarnay. 
 
Nous avons pu prendre quelques photos à la fin du championnat que nous sommes heureux de pouvoir reproduire et souhaitons à la Fédération Française des Échecs de voir grossir le nombre des adhérentes au Comité féminin, certains que la présidente les accueillera avec joie et se fera un plaisir de les diriger, les conseiller dans le « Noble Jeu » pour leur éviter des... échecs !

RENÉ BONNEAU

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