samedi 14 décembre 2024

Plan de la Régence - Le Café de la Régence au XVIIIème siècle - 3ème partie

Une découverte majeure, que j'ai faite lors de ma visite aux archives en octobre dernier, c'est que le Café de la Régence aurait pu disparaitre après son achat par la ville de Paris en 1774. Ceci dans le cadre de travaux dans le quartier du Palais Royal, suite au transfert de l'hôpital des Quinze-Vingts rue de Charenton, non loin de la Bastille.

Comme l'indique Wikipedia au sujet de l'enclos des quinze-Vingts : Par lettres patentes du 16 décembre 1779, le roi ordonne la création de plusieurs rues à l'emplacement de l'ancien hospice des Quinze-Vingts.

La cote Q/1/1146, dont j'ai déjà parlée et dont je reparlerai dans d'autres articles tant elle est riche, contient notamment deux plans très intéressants. Un plan du Café de la Régence proprement dit, et un plan du quartier tel qu'il est envisagé après les travaux. Ce sont les objets de cet article.
Pour ceux qui connaissent Paris, les travaux de 1854 sous Napoléon III, vont complétement chambouler le quartier (avec le percement de la rue de Rivoli) pour lui donner l'aspect actuel.

Commençons par une description des travaux

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1774
 
Il est facile de lire par exemple "(...) que la Place du Palais serait élargie par la suppression de plusieurs maisons, tant du côté des quinze-vingts que de celui de la rue Froidmanteau, et qu'il serait formé un pan coupé à chacun des angles de la rue Saint-Honoré (...)"

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1774
 
La page suivante du document donne des détails qui concernent directement le Café de la Régence.

"(…) acquéreur au nom de la dite ville, en vertu des lettres patentes énoncées et datées ci-dessus, une maison située à Paris rue Saint-Thomas du Louvre sur la dite place du Palais Royal appelée Le Caffé de la Régence occupée par le sieur Rey limonadier ayant son entrée par une allée dans la dite rue Saint-Thomas du Louvre et sur la dite place du Palais Royal, et composée d’un étage de cave, rez de chaussée, quatre étages en carrée, un autre en mansarde et grenier au-dessus (...)"

Un autre document de la cote Q/1/1146 donne donc le pan du Café de la Régence.

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 9 août 1774

Il est indiqué que la devanture fait 36 pieds, 4 pouces, 9 lignes
 
Un petit calcul de conversion donne une longueur de
36 x 0,3248 m + 4 x 0,027 + 9 x 2,2558 mm = 11,69 m + 0,108 = environ 12 mètres
Pour une largeur de 19 pieds et 6 pouces, soit
19 x 0,3248 + 6 x 0,027 = 6,33 mètres environ

Soit une surface d’environ 6,33 x 12 = 76 mètres carrés environ.
 
Le texte sur la droite est le suivant : "Maison appartenant à Monsieur de Goimpy occupée par le sieur Ray Limonadier"
 
On peut voir un escalier, probablement pour aller dans les étages et à la cave.
Un mur semble traverser le café dans sa partie sur la droite. En fait dans les différents baux de location que nous verrons dans un autre article, il est précisé que le local est constitué de 3 boutiques. Sauf au début du XVIIIème siècle, où deux boutiques étaient occupées par un limonadier et la 3ème boutique par un maitre rôtisseur, les trois boutiques formaient un tout durant le XVIIIème siècle.
 
Nous avons là le plan du Café de la Régence de François Antoine de Le Gall sire de Kermeur et de François André Danican Philidor.

Retenez la forme rectangulaire du Café de la Régence. J'y reviens un peu plus loin dans cet article.
 
Voici maintenant le document d'enregistrement de la vente du Café de la Régence, toujours à la cote Q/1/1146.
 
Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 7 février 1775
 
Si on zoome sur le document on peut lire ceci
 

"(...) profit de la ville d'une maison sise rue Saint-Thomas du Louvre place du palais Royal, appelée le Café de la Régence, moyennant la somme de Cinquante Cinq mille livres (...)"

Un peu plus tard, le 25 octobre 1779 un plan du futur quartier après travaux est établi.
Et là, force est de constater que le Café de la Régence semble toujours s'y trouver.
Mais à ce jour je n'ai pas l'explication de la "non destruction" de la maison où se trouve la Régence.

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1779

Archives Nationales - Q/1/1146 - Document daté du 25 octobre 1779
Zoom sur la partie en haut à gauche du document.

J'ai cerclé de rouge l'emplacement du Café de la Régence.
Là on s’aperçoit que sa forme a légèrement changé. De rectangulaire, il a gagné un morceau en biais.
Est-ce ce qui se trouvait dans le premier document de cet article ? 
à savoir : 
"(...) qu'il serait formé un pan coupé à chacun des angles de la rue Saint-Honoré (...)"
 
Voici le plan du quartier 50 à 60 ans plus tard (déjà publié sur ce blog).

Plan de la Place du Palais Royal (Cadastre de Paris par îlot - Atlas Vasserot et Bellanger 1830 - 1850).
Archives de Paris. 4ème quartier - Tuilerie - Îlots 19 et 20


Le Café de la Régence a changé de forme,comme on peut le voir en zoomant sur ce plan.

La partie B (en rouge) correspond au Café de la Régence d'origine, tel qu'on peut le voir sur le plan un peu avant dans cet article.
Les parties A et C (en jaune) on donc été ajouté au bâtiment du Café de la Régence.
Celui-ci n'a donc pas été démoli, mais il a gagné en surface, avec une forme un peu étonnante.

Cette forme, pas très harmonieuse, est décrite en 1840 avec humour par un anglais nommé Georges Walker. Son nom est alors bien connu dans le milieu des échecs britanniques et français, en tant que chroniqueur, mais également comme joueur d'échecs de bon niveau. 
 
En 1839, il se rend à Paris et découvre le Café de la Régence qui vient de retrouver les plus forts joueurs suite à la dissolution du Cercle des Échecs de Paris situé rue de Ménars. Georges Walker va rédiger un long article au sujet de sa visite au Café de la Régence. Texte qui est publié pour la première fois en décembre 1840 dans le Fraser’s Magazine, puis en français en 1841 dans la Revue Britannique . Le Palamède de juillet 1843, alors sous la direction de Saint-Amant, le reproduira également.

Voici un extrait du texte de Georges Walker. Je mets en rouge le passage le plus intéressant pour cet article.

"(...) C'est ici que le jeu des échecs « gouverne et règne seul ». Personne n'a encore décrit à mon gré ce fameux café et ce jeu, le roi des jeux. Mery lui-même avec toute son imagination et son esprit, lorsqu'il a voulu s'en mêler, a prouvé qu'il n'y entendait rien. Sans trop de vanité, je parie battre Mery, sans être un écrivain aussi facile que lui. Matériellement, le café de la Régence est bientôt décrit: il est bas, long, étroit, assez semblable pour la forme à un parallélogramme de tartine au fromage (parallelogram of toasted cheese), l'antithèse de la grâce architecturale; le salon ne peut rivaliser avec ceux des cafés plus modernes si richement dorés, malgré ses glaces et ses tables de marbre… (...)"
 

a parallelogram of toasted cheese,
telle est la forme du Café de la Régence depuis probablement 1779.

mercredi 4 décembre 2024

Boues et lanternes - Le Café de la Régence au XVIIIème siècle - 2ème partie

Parmi tous les papiers de la cote Q/1/1146 des Archives Nationales, se trouvent quelques documents intéressants sur la vie au XVIIIème siècle. C'est ainsi que j'y ai trouvé plusieurs quittances de l'impôt des boues et lanternes pour l'immeuble du Café de la Régence.

Comme l'indique le site internet de l'économie et des finances,

Sous l'Ancien Régime, l'impôt des boues et lanternes, décidé par le Parlement de Paris en 1509, était dû par les habitants parisiens pour le nettoiement des rues et l'entretien des lanternes. Les sommes perçues permettaient de rémunérer les entrepreneurs du nettoiement (...)

Il semble que ce soit plus exactement les propriétaires des bâtiments qui devaient s'en acquitter.

Ci-dessous 3 exemples pour l'immeuble du Café de la Régence : 1705, 1748 et 1761.

Année 1705 - Archives Nationales - cote Q/1/1146


 

 


 

 

 

 

Année 1748 - Archives Nationales - cote Q/1/1146

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Année 1761 - Archives Nationales - cote Q/1/1146

Le nom du Café de la Régence n'est pas mentionné. A la place, il est indiqué une maison rue Saint-Thomas du Louvre.

Archives Nationales - cote Q/1/1146 - Petite note accrochée à la quittance de 1761.

En fait, même si l'immeuble du Café de la Régence donne sur la Place du Palais-Royal, il est alors considéré dans le prolongement de la rue Saint-Thomas du Louvre.
NB : cette rue a disparu en 1853 avec le percement de la rue de Rivoli.

Plan relatif au programme décrété le 30 juin 1793 par la Convention Nationale
Bibliothèque Historique de la Ville de Paris

A : Emplacement du Café de la Régence (sur la Place du Palais-Royal)
En rouge pâle, la rue Saint-Thomas du Louvre. 

On observe également que le nom du propriétaire de l'immeuble, du Café de la Régence, est le même tout au long du XVIIIème siècle, plus exactement jusqu'en 1774 date de son achat par la ville de Paris pour le détruire.

Il s'agit de la famille du Maitz de Goimpy que l'on retrouve sur tous les baux de l'époque. En regardant sur les quelques documents du XVIIème siècle également présents à la cote Q/1/1146 on voit que l'immeuble appartient à cette famille depuis très longtemps.

Vous avez sur Wikipédia une page sur un membre de cette famille à l'époque.

Archives Nationales - cote Q/1/1146

samedi 30 novembre 2024

Le Café de la Régence au XVIIIème siècle – 1ère partie

Voilà un drôle de titre pour une série d’articles que je vais publier, car j’ai déjà eu l’occasion de parler du Café de la Régence au XVIIIème siècle, à la fois sur ce blog, mais également dans mon livre écrit il y a bientôt 10 ans !
 
Le Centre d'Accueil et de Recherche des Archives Nationales - CARAN
Rue des Quatre-Fils à Paris dans le Marais.
 
En fait cela faisait longtemps que je souhaitais me rendre à nouveau aux Archives Nationales à Paris afin de consulter différentes références. J’en ai eu l’occasion au mois d’octobre dernier. Bien m’en a pris, car j’ai découvert différentes archives qui me permettent de réécrire, et donc de corriger, une partie de la chronologie du Café de la Régence en gros du début du XVIIIème siècle jusqu’à la Révolution, et qui m’apportent de nombreux renseignements. A vrai dire je n’imaginais pas trouver autant de choses.

Ceci se résume à 3 cotes consultables aux Archives Nationales à Paris, Q/1/1146, H//1959 et Y//12149.
 
Ne pas se décourager quand on voit un truc pareil :-)
De la patience et de la persévérance !

 
Q/1/1146 – La liasse de documents, à cette cote, contient beaucoup de choses, dont quasiment tous les baux de location de l’immeuble où se situe le Café de la Régence au XVIIIème siècle, ainsi qu’au siècle précédent. Mais les baux du XVIIème siècle m’intéressent beaucoup moins puisque le Café de la Régence proprement dit n’existait pas encore.
 
En fait il y a une raison pour laquelle tous ces baux ont été réunis dans ce dossier, raison que j’ignorais jusqu’à présent : le bâtiment du Café de la Régence, comme beaucoup d’autres dans le quartier, est acheté en fin d’année 1774 par la ville de Paris pour être démoli !
Cette liasse contient d’autres document très intéressants, comme un plan du Café de la Régence que je vous ferai découvrir dans un prochain article.
 
L’Échiquier Français, mai 1906.
A la lumière de ma visite aux archives, ce qui était communément admis est en fait faux comme nous le verrons dans un prochain article.
"(...) Le successeur de Lefèvre, nommé Leclerc (...)". Mea culpa, j'ai commis une erreur similaire que je corrigerai.
 
H//1959 – Là nous sommes en 1788, à la veille de la Révolution. Heureusement pour nous , le bâtiment du Café de la Régence n’a pas été démoli malgré les travaux importants dans le quartier. Il faudra attendre Napoléon III et le percement de la rue de Rivoli pour que le Café de la Régence déménage de la place du Palais-Royal en 1853.
En 1788, un dénommé Pierre Nicolas Lecomte (!), souhaite acquérir le bâtiment.
Cette cote contient quelques informations intéressantes.

Y//12149 – Une liasse de papiers qui contient, parmi toutes les feuilles jaunis par le temps, un document exceptionnel pour ma recherche. 
 
Début du document - Archives Nationales

Nous sommes le mercredi 20 avril 1746, et
« (…) Vient iceluy François LE CLAIR de decedder dans le moment (…) »
Le gérant, François Leclerc, vient de décéder dans l’immeuble du Café de la Régence (la phrase est cerclée de rouge ci-après). 
 
 
Il s’agit là du Procès-verbal d’apposition de scellés sur les biens de défunt François Leclerc, marchand limonadier à Paris, par Louis Cadot, commissaire au Châtelet de Paris, le jour-même du décès.

Document exceptionnel, car ce Louis Cadot visite l’intégralité de l’immeuble et écrit ce qu’il voit et ce qu’il fait. Il décrit notamment l’intérieur du Café de la Régence en 1746.
 
Pour terminer cet article d’introduction à cette visite des archives, comme vous pouvez le constater, la lecture de ces documents n’ai pas chose aisée.
Je remercie Philippe Bodard pour son aide, et tout particulièrement Jean-François Viel pour la transcription du document de la cote Y//12149 dont il est question et sa maitrise de la paléographie.

dimanche 24 novembre 2024

Lettre de Deschapelles au sujet du match entre Saint-Amant et Staunton

Nous sommes la veille du match pour le titre de champion du Monde d’échecs entre le tenant du titre, le Chinois Ding Liren et l’Indien Gukesh Dommaraju. Le match démarre demain lundi 25 novembre à Singapour. Il s’agit d’un match en 14 parties classiques. La cadence est de 120 minutes pour les 40 premiers coups, suivi de 30 minutes pour les reste de la partie, avec un incrément de 30 secondes à partir du 41eme coup. Bref les parties vont durer entre 4 et 6 heures environ.

Le temps de réflexion de ces partie dites « longues » rétrécit au fil du temps, Magnus Carlsen ayant même proposé de jouer le championnat du Monde sur un format de parties rapides !
 
Le tableau de Marlet sur le match Saint-Amant / Staunton.

Si nous revenons 180 ans en arrière avec la match Saint-Amant vs Staunton en fin d'année 1843, le temps de réflexion était à peu près libre, ce qui impliquait des parties interminables.
Un aspect temporel du jeu d’échecs que n’approuvait absolument pas Deschapelles, le meilleur joueur d’échecs du début du XIXème siècle, qui préconisait un jeu rapide, avec une partie ne devant pas dépasser 2 heures de réflexion au total. Je vous propose de découvrir tout cela dans ce présent article.

Un peu par hasard, j’ai découvert une lettre écrite par Deschapelles en début d’année 1844.
C’est la revue La Nouvelle Régence de 1862 (page 101), de Paul Journoud, qui parle de cette lettre traduite et publiée en 1848 dans la revue allemande Schachzeitung. Elle est mentionnée dans un article de von der Lasa au sujet de la force relative des différents maîtres du 18ème siècle et de la première moitié du 19ème siècle.
J’ai donc cherché cette revue et je l’ai trouvée, ainsi que la lettre (via Google Book).
Cette lettre est remarquable, car elle reflète très bien la façon de penser de Deschapelles.
 
Le passage de l'article de von der Lasa où il est question de la lettre de Deschapelles. 
La Nouvelle Régence 1862
 
De quoi s’agit-il ? La lettre est écrite environ 2 mois après la fin du 2ème match entre Saint-Amant et Staunton, match joué au Cercle des échecs de Paris au 1er étage du Café de la Régence, place du Palais Royal (la dernière partie a été jouée le 20 décembre 1843). Elle est adressée à l’astronome et joueur d’échecs Heinrich Christian Schumacher.

 

Deschapelles est sans aucun doute désabusé par le résultat du match et le critique vertement (Staunton gagne largement le match 11 à 6). Le sceptre des échecs change de main et quitte la France après plus d’un siècle de domination.

Ci-dessous, je reprend la lettre paragraphe par paragraphe (en caractères gras) et j’y ajoute mon commentaire (en italique).

En préambule vous pouvez lire ou relire le document que j’avais rédigé au sujet de Deschapelles pour la conférence du centenaire de la FFE. 
 
  Schachzeitung 1848 - Via Google Book
 
Paris, 12 Février 1844
 
Monsieur,

Il n'y a point d'affaire si compliquée qu'on ne puisse débrouiller et faire comprendre en un quart d'heure de conversation ; la loquacité accompagne l'intelligence ; et l'on peut pousser la chose à l'extrême en disant : qu'à celui seul qui n'a jamais rien à dire, appartient le droit de parler toujours.

Sur cette manière de voir vous pouvez juger du peu de cas que je fais des parties d'échecs qui viennent d'avoir lieu entre Messieurs Staunton et St. Amant.

En moyenne, elles ont duré neuf heures, c'est-à-dire neuf fois plus que n'ont duré les parties des grands maîtres ; les joueurs ont été longs à chaque coup, contrairement à la méditation qui dispose de l'avenir par une pause de quelque minutes, laissant ensuite, tomber comme de la main, et avec une légère révision, un grand nombre de coups subséquents.

 
J’ai eu l’occasion de parler du problème du temps de réflexion des parties d'échecs avant l’invention de la double pendule d’échecs. Vous avez ici un article que j’ai rédigé à ce sujet il y a quelque temps. Un an plus tard, en 1845, Deschapelles parle à nouveau de ce match est indique

« (…) Je repousse cette pesanteur, qui, récemment, a mis une journée à faire une partie  ;
je crois, Philidor et La Bourdonnais ont cru, qu’il n’y a point de combinaisons d’Échecs qui exigent de l’intelligence au-delà de cinq minutes d’attention, encore à la condition qu’une grande quantité de coups en découleront et que ce sera une avance économique ; j’en appelle, Messieurs, à vos souvenirs ; avez-vous jamais vu sacrifier deux heures à une partie ? Non, une partie d’Échecs est communément une affaire de trois quarts d’heure (…)  »

La 21ème et dernière partie du match entre Saint-Amant et Staunton a duré 14h30 (!) pour 66 coups. H.Wilson, arbitre de Staunton, calcula que Saint-Amant avait employé, pour ses coups, les trois quarts du temps total de jeu... 
 
Notez également que Deschapelles ne range pas Saint-Amant ni Staunton au rang de Grand Maitre !
 
Ils ployaient eux-mêmes sous une fatigue matérielle ; sous une fatigue qui semblait n'avoir rien de commun avec la pensée ; sous la fatigue du corps qui les forçait de s'interrompre et de s'échapper pour aller chercher de l'air et de la nourriture.

Ils étaient la risée de la galerie, souvent renouvelée par l'ennui, laquelle sur une table à côté, réalisait longtemps à l'avance le coup médiocre et prévu, qu'ils ne manquaient guère de jouer après l'avoir indéfiniment fait attendre.

C'était une longueur sans profit comme sans excuse ; une longueur maladive, fastidieuse, montrant les échecs de leur vilain côté et de nature à mettre en fuite les plus intrépides amateurs.

Avant de passer outre l'honneur de l'art exige une rectification : c'est que, il n'y a pas eu défi entre écoles, ni entre sommités, nous ne voyons là, qu'une rencontre entre deux vigoureux soldats qui ont tiré le sabre dans une anfractuosité du rempart ; ils se sont portés quelques bons coups, la victoire n'a pas été acquise sans danger et la défaite n'a pas éteint tout espoir de revanche.


Toutes les propositions de match de Deschapelles envers les anglais sont restées lettre morte
Immédiatement après la défaite de Saint-Amant, la rumeur veut que Deschapelles propose de revenir sur le devant de la scène en défiant Staunton. . Exemple avec l’extrait du journal « Le Sémaphore de Marseille » du 28 décembre 1843 (source Retronews), quelques jours après la fin du match…
 

 

En 1844 Deschapelles a quand même 64 ans… 34 ans pour Staunton et 44 ans pour Saint-Amant.
Le défi permanent adressé par Deschapelles aux anglais est par exemple repris par Fraser’s en 1839. « Messieurs, il y a plus de trente ans qu’il existe de ma part un défi permanent au jeu des échecs. J’offre le pion et deux traits ». Il revient sur ce point un peu plus loin dans la lettre.
 
 
 
 
C'est envahi que vous nous demanderiez du La Bourdonnais ! Cette longue pensée dont les conséquences jaillissaient avec tant de rapidité ! Ce mordant, qui entamait un adversaire inquiet et dérouté ! Ces trouvailles du génie, qui, si souvent, arrivaient à la catastrophe par un grand stratagème !

Il n'y a plus de La Bourdonnais ; il n'y aura plus de joueur de cette puissance qui consente à vivre continuellement dans les conditions actuelles, et encore : La Bourdonnais n'a pas égalé ses devanciers, il n'a pas eu leur valeur intrinsèque, il ne possédait pas au même degré cette essence qui en quelques jours les avait muri ; à lui, il avait fallu dix ans de travail pour les atteindre ; à lui, il fallait, pour se maintenir des efforts incessants ; à lui, enfin, étaient interdits, ces éclairs qui dépassent toutes les bornes.


La nous touchons à l’essence même de Deschapelles. Le « devancier » de La Bourdonnais n’est autre que Deschapelles lui-même ! Deschapelles indique qu’il a fallu 10 ans à La Bourdonnais pour ne même pas l’égaler. Tandis que lui-même reprend la légende qu’il a construite, à savoir qu’il a atteint son niveau au jeu d’échecs en seulement quelques jours en partant de zéro à la fin du XVIIIème siècle au café Morillon ! A ma connaissance, seul AlphaZéro, Intelligence Artificielle, est arrivé à ce résultat par auto-apprentissage en partant de zéro. A la fin de l’article sur le Café Morillon vous pouvez lire l’histoire de l’apprentissage des échecs par Deschapelles.
 
Revenons encore au défi, nous donnerons notre jugement en peu de mots : les parties sont monotones, les débuts sans variété, la tactique rétrécie, point d'imprévu et peut de saillies, pour qui ignorait le nom des champions, ce sont de faibles parties entre joueurs non classés.

Cependant, ces messieurs sont de bons joueurs ; ils tiennent les premiers rangs dans les deux réunions qui se distinguent le plus, ils ne connaissent plus de supérieur, à moins qu'ils ne l’aillent chercher dans une autre sphère. Cela est arrivé à Mr. St. Amant il n'y a guère plus d'un an ; alors il s'est montré tout autre ; en vingt heures il a fait vingt parties ; il avait de l'intelligence, de la vigueur et. une tenue infatigable ; on ne pourra pas dire qu'il jouait petit jeu ; un peu moins d'argent, oui, mais plus d'émulation, il s'agissait de se défendre en recevant un gros avantage, il s'agissait de conserver ses galons. 

Deschapelles fait référence sans doute au match informel qu’il a joué et gagné contre Saint-Amant en fin d’année 1842 en lui donnant différents avantages matériels. Page 233 du Palamède de 1842 (deuxième tome). J'aborde ce match dans cet article.

Nous croyons qu'en pareil cas Mr. Staunton éprouverait la même métamorphose, nous croyons qu'il deviendrait vif, et qu'il retrouverait son éclat.

 
Monsieur, il y a ici un problème que je livre à votre sagacité. Pourquoi deux joueurs puissants se font- ils amoindrir en combattant l'un contre l'autre ? Une autre singularité des échecs, c'est qu'une réunion quelconque s'y croit de la première force pour peu qu'elle reste du temps sans communiquer avec une force supérieure, à peine privé de La Bourdonnais, le club de Paris attribuait déjà la puissance à ses sommités actuelles, lorsqu'il choisit Mr. D. pour son président. La complaisance de celui-ci alla jusqu'à accepter, dans l'intérêt du club, quelques parties à un jeu qu'il avait entièrement abandonné.

La Présidence du club revient à un certain Mr. D., qui n’est autre que Deschapelles lui-même bien évidemment. En 1841, il est élu président du Cercle des Échecs de Paris, alors situé au-dessus du Café de la Régence. Il en sera le président pendant une année jusqu’en février 1842, conformément au règlement du Cercle, où le tirage au sort désignera un autre conseil d’administration.
 
Vous auriez été satisfait de voir votre programme en pleine exécution; non seulement les débuts furent variés, mais encore, et pour qu'il n'y manquait rien, des parties s'engagèrent avec des échanges de pièces. On donna la tour, on donna la dame en échange d'une quantité de pions.

En Allemagne on n'apprécie pas ces parties; on n'y a pas introduit encore cet apprentissage des pions, qui se reporte sur toutes les autres manières de jouer, leur donnant de l'aplomb et de grandes ressources. C'est un progrès que je vous recommande et vous me remercierez du plaisir que je vous en promets.

Quoiqu'il en soit, la vérité du récit exige que je vous apprenne que le président a donné à tous, un pion et demie (*C’est-à-dire, pion et trait) et qu'il a gagné tous les défis. Si vous joignez à ce fait; ce que nous avons entendu dire au président qu'il était encore d'un pion au dessous de sa propre force, vous aurez une pauvre idée des talents de l'époque.

 
Ici est évoquée une ancienne forme du jeu d’échecs que Deschapelles aimait particulièrement. Il s’agit de remplacer telle ou telle pièce par un certain nombre de pions. Cette forme de jeu était très pratiquée à la Régence au XVIIIème siècle, ce qui explique peut-être la découverte fondamentale de Philidor sur l’importance du pion aux échecs. Voir l'article que j'ai consacré à ce sujet.
 
Philidor classait par demi-pions les échelons des grandes forces ; Mr. de Légal jouait avec lui à but ; Verdoni, au pion pour le trait ; Carlier et Bernard, que j'ai connus, et grand nombre d'autres au pion et trait. 
 
Joué à but correspond à jouer à égalité matériel. Cela signifie que votre adversaire est de la même force que vous.
 
Monsieur, c'est la seule fois que j'aurai écrit sur ces babioles, c'est une consignation dans vos archives, ensuite, j'acquitte une dette pour les lettres savantes et polies que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser à diverses reprises, lettres qui m'ont touché, et auxquelles j'ai satisfait de mon mieux, soit, en vous faisant remettre ce qui me semblait devoir vous être agréable, soit en vous faisant répondre à fond, par La Bourdonnais qui était un poète de science.

Depuis le duel récent de ces messieurs, on m'a dit que les journaux parlaient d'un défi qui m'était ou me serait porté par Mr. Staunton  dans lequel il s'agirait d'une somme d'argent ; vous saurez que je ne crois à rien de semblable, qu'il ne m'a rien été communiqué, que Mr. Staunton n'en a pas non plus probablement entendu parler, et que ce sont les niaiseries de la presse. Il y a bientôt un demi siècle que je tiens la position, chacun à le droit de la réclamer et de porter défi.
 
Au sujet d’une nouvelle rumeur sur un match entre Staunton et Deschapelles voir un peu plus haut l’extrait du journal « Le Sémaphore de Marseille » du 28 décembre 1843 ou bien encore le journal « Le Commerce » du 25 décembre 1843 (source Retronews).
 

 
 
 
 
 
 
 
Si Mr. Staunton me demandait le pion et deux traits, ce serait la partie d'il y a quatre ans, que le comité d'outre mer a évité ; s'il me défiait à but, où trouverait-il assez de confiance pour l'enjeu ?

Agréez, Monsieur, ma haute estime et mon penchant amical.
Des Chapelles. 

mardi 19 novembre 2024

Capablanca par Georges Bertola

Georges Bertola, rédacteur en chef de la revue "Europe Echecs" et historien du jeu d'échecs, vient de publier un livre sur Capablanca, préfacé par le champion ukrainien Vasyl Ivanchuk.
Coïncidence, ce 19 novembre est également le jour de son anniversaire ! 


Un livre passionnant, très richement illustré et qui vous fait revivre la carrière de ce prodige du jeu d'échecs. Le premier tome porte plus exactement sur son ascension, de sa naissance en 1888 jusqu'à l'année précédant le championnat du Monde contre Lasker en 1921.

Vous pouvez vous procurez le livre sur le site de la revue Europe Échecs
Voici le lien direct
https://www.europe-echecs.com/la-boutique-en-ligne.html?prod=426
Prix 39,90 euros

Capablanca en 1931 - Wikipedia

Voici ce qu'indique la 4ème de couverture :

Ce premier volume révèle l’ascension du jeune prodige, José Raúl Capablanca, qui a appris le jeu vers l’âge de 4 ans et demi en observant son père jouer. Il n’appartenait à aucune école, n’a pas étudié le jeu d’échecs autrement qu’en le pratiquant intensément. Il fut rapidement considéré comme un phénomène et son illustre prédécesseur, Emanuel Lasker le 2e champion du monde de l’histoire, devait avouer : « J’ai connu beaucoup de joueurs d’échecs mais un seul génie : Capablanca. »

Au travers de 111 parties qui illustrent son style que l’on a qualifié souvent de limpide, basé sur une excellente technique, j’ai tenté de le faire revivre dans son époque en insistant sur ses qualités humaines. J’ai traité les moments essentiels de sa biographie jusqu’à ce que Capablanca devienne le prétendant incontesté au titre mondial qu’il remportera en 1921.
En rejouant ses parties, la pratique du jeu peut paraître un exercice d’une relative simplicité. On se souvient de lui comme du plus grand joueur de fins de parties du début du XXe siècle, mais dont le traitement des ouvertures est dépassé.

Il n’y a rien de plus trompeur que l’évidence. Si cela peut s’avérer une réalité pour un super Grand-Maître, pour l’ensemble des amateurs et des joueurs de club, la logique de ses analyses, sa vision pragmatique et ses évaluations positionnelles ont conservé une grande partie de leur fraîcheur.
Son style, son efficacité et sa domination face aux joueurs de son époque présentent quelques analogies avec des « géants » de notre temps comme Anatoly Karpov ou Magnus Carlsen.



Georges Bertola a répondu à quelques questions que je lui ai posées au sujet de son livre.

Jean-Olivier Leconte : Peux-tu te présenter succinctement ?
Georges Bertola : J’ai toujours été passionné par le jeu et les joueurs qui ont façonné son histoire. Pour ma part, j’ai pratiqué en amateur (j’ai travaillé à plein temps dans une compagnie d’assurance depuis 1980) et à l’époque il y avait peu de titrés. À la fin des années 80, mon Elo était proche de 2200, j’ai aussi pratiqué la correspondance, avant l’ère des puissants ordinateurs, avec un Elo de plus de 2400. J’ai par la suite collectionné des livres d’échecs, magazines etc. pour réunir l’une des collections les plus importantes de Suisse.

JOL : Pourquoi as-tu choisi Capablanca plutôt qu’un autre joueur d’échecs ? As-tu une affinité particulière avec lui ?
GB : J’avais proposé à Europe Echecs de publier une collection dédiée aux « Champions du monde ». Capablanca était l’un des joueurs qui, par la clarté de sa vision essentiellement stratégique, me semblait être celui dont l’enseignement était le plus pertinent pour les joueurs de club. La simplicité apparente de son jeu, l’application de ses principes et la logique de leurs réalisations sont toujours d’actualité pour aider la plupart des amateurs. C’est avant tout utile pour comprendre le jeu, avant d’apprendre par cœur la complexité de ce que l’on nomme la théorie… 

La tombe de Capablanca à Cuba

JOL : Lors de notre dernière rencontre à Budapest, tu m’as indiqué être allé à Cuba et voir notamment la tombe de Capablanca. Peux-tu raconter dans quelles circonstances tu t’y es rendu ?
GB : En 2016, je me suis rendu à Cuba. La popularité dont jouissait les échecs et les souvenirs que Sylvain Zinser et le GM Florin Georghiu m’avaient rapporté de l’Olympiade de 1966, la résurrection du « Mémorial Capablanca » par le mythique Che Guevara, tout cela avait attisé ma curiosité. Je dois dire que les seuls contacts qui m’ont permis de comprendre la réalité de ce que vivait les Cubains furent quelques joueurs d’échecs, je mentionnerai le GM Silvino Garcia et le MI José Luis Vilela. La visite de la tombe de Capablanca m’a fait prendre conscience de l’importance qu’il représente encore aujourd’hui pour les Cubains. C’est probablement la tombe la plus imposante qui existe d’un joueur d’échecs. 

JOL : Combien de temps as-tu mis pour rédiger ce premier tome ?
GB : Cela m’a pris plus d’une année pour l’écrire, mais depuis que je publie des articles historiques ou autres (depuis 1975 dans presse de Suisse romande), beaucoup de matière se trouvait déjà en «  veilleuse », si je puis dire. Il s’agit d’abord d’un travail de compilation, de synthèse sur tout ce qui j’ai pu rassembler sur Capablanca. L’apport de l’ordinateur pour chercher la vérité est minimal. L’idée est essentiellement de comprendre et de s’immiscer dans les pensées des grands joueurs qui ont écrit sur lui. En parallèle, j’aime introduire des éléments du contexte de la grande histoire qui ont souvent un lien, même ténu, avec les problèmes existentiels des grands champions. Celui qui me semble le plus intéressant, Alekhine, est le prochain sur la liste de mes projets.

JOL : Il s’agit pour le moment du 1er tome. As-tu prévu 2 ou 3 tomes ? 
GB : Je travaille actuellement sur le 2e tome qui couvre la période de la conquête du titre en 1921 jusqu’à sa mort. Donc, se sera probablement le 2e et dernier tome consacré à Capablanca. Au vu de la matière, notamment le match de 1927 et ses relations compliquées avec Alekhine, il sera tout aussi volumineux, si ce n’est pas plus… 

JOL : Quand penses-tu que ce deuxième tome sera disponible ?
GB : Il me faudra certainement encore une année pour mener à terme ce projet. Je dois avouer que l’image caricaturale que j’avais du champion Capablanca, qui n’étudiait pas les échecs, a été sérieusement écornée. C’est le GM Vasyl Ivanchuk, qui lors d’un entretien il y a quelques années, m’avait dit qu’il lui semblait impossible que Capablanca ne préparait pas ses parties. Il se référait notamment à son match contre Max Euwe. Une opinion que je partage désormais.

Merci Georges.

jeudi 31 octobre 2024

L'Agonie des Aigles

Sans vraiment tenir de comptabilité, j'ai recensé jusqu'à présent deux films et une pièce de théâtre dans lesquels est représenté le Café de la Régence.
 
Pour le théâtre, plus exactement il s'agit d'un opéra comique en un acte intitulé "Battez Philidor" et daté de 1882.Toute l'action se déroule dans le Café de la Régence. 
 
L'affiche du film de 1922 L'Agonie des Aigles

Pour le cinéma, j'ai trouvé un film amateur "une partie d'échecs" mentionné dans le bulletin de la FFE (avril-juillet 1935), et une brève scène dans une reconstitution du Café de la Régence dans un film plus récent "Karl Marx" de 2017.

Sinon, j'espère mettre un jour la main sur un film tourné dans le véritable Café de la Régence en mars 1933 à l'occasion d'une simultanée de Lasker.
 
Voici donc une 4ème représentation du Café de la Régence dans un film de 1922 intitulé "L'Agonie des Aigles". Film muet en noir et blanc de Dominique Bernard-Deschamps, sur un scénario de Georges d'Esparbès, d'après son roman Les Demi-soldes (roman que l'on trouve également sous le titre L'Agonie des Aigles).

Le journal L'Illustration y consacre un grand article illustré dans son numéro du 15 janvier 1921.
Et parmi toutes les photos publiées se trouve une reconstitution du Café de la Régence.
 
La couverture de L'Illustration du 15 janvier 1921
 
Voici un extrait de l'article de L'Illustration. Le "centenaire" fait bien évidemment référence au centenaire de la mort de Napoléon Bonaparte.

Une société française (Art et Cinématographie), spécialement fondée pour reconstituer avec le cinéma les hautes fresques de notre histoire nationale, a consacré plusieurs millions à la réalisation d’un film dont la projection prochaine inaugurera les cérémonies du centenaire, que l’on a voulu émouvant et magnifique, qui s’appellera l’Agonie des Aigles, et dont l’un des décors essentiels sera le palais de l’abdication et des adieux célèbres : Fontainebleau. 
 
Et un habile metteur en scène, M.Bernard-Deschamps, s’est appliqué à composer devant l’objectif les images d’un récit filmé, un récit tout en action et en sensibilité ardente, que l’on a eu la très heureuse inspiration de prendre, pour la plus grande partie, dans l’œuvre de Georges d’Esparbès.
 

 
 
 

 












La reconstitution est intéressante, mais elle ne correspond pas à la réalité de l'emplacement de la Régence.
Sous la Restauration, le Café de la Régence se trouvait place du Palais-Royal.
 
Là, de chaque côté de cette image on distingue une colonne ainsi que des grilles. 
Cette reconstitution a probablement était faite dans les jardins du Palais-Royal et non sur la place du même nom, car ces grilles sont vraiment caractéristiques du lieu.

samedi 26 octobre 2024

Alekhine, d’une patrie à l’autre, sous les couleurs Françaises, par Guy Gignac

Guy Gignac (Québec) vient de publier, à compte d’auteur, un formidable opuscule qui retrace la vie d’Alekhine. Une bonne synthèse biographique de la vie tumultueuse du 4ème champion du Monde d'échecs.


Guy est un collectionneur incoercible de tout ce qui touche de près ou de loin à Alekhine et je ne peux que vous recommander d’acquérir son livre, en contactant l’auteur directement à son adresse courriel gignac_guy@hotmail.com
 
La préface de Thierry Lafargue

Un seul (petit) regret : le lecteur avide, que je suis, attendait une iconographie encore plus riche !
 
  
Un document exceptionnel de la collection de Guy et publié dans son livre.
Photo de l'équipe de France aux olympiades de Hambourg en 1930
De gauche à droite, Aristide Gromer, Marcel Duchamp, Alexandre Alekhine, André Voisin, Louis Betbeder 
Notez la dédicace : Le 24.7.1930 Meilleures pensées aux amis du Cercle Philidor, restés à Paris

Par exemple en page 34, Guy parle, sans le montrer, d’un encrier offert à Alekhine lors de l’olympiade d’échecs à Paris en 1924 et qu’il a acquis. Vous pouvez voir une photo de cet objet incroyable dans un article que j’ai publié en juillet dernier. Photo que Guy m'avait généreusement autorisé à publier sur ce blog.
 

L'encrier offert à Alekhine à Paris en 1924 - Collection Guy Gignac
 
Sommaire 




mercredi 23 octobre 2024

Triche

Depuis quelques jours, une nouvelle et triste affaire de triche touche le jeu d’échecs. Le jeune Grand Maître International Kirill Chevtchenko (d’origine Ukrainienne) est accusé d’avoir triché avec son téléphone mobile lors du championnat d’Espagne par équipe. Ce n’est pas la première fois qu’une telle affaire de triche a lieu, et c’est un véritable poison qui peut tuer la compétition aux échecs.

La triche est un phénomène vieux comme les jeux eux-mêmes. En 1861, le célèbre prestidigitateur Français Jean-Eugène Robert-Houdin publie l’excellent « Les tricheries des grecs dévoilées : L’art de gagner à tous les jeux », mais heureusement il ne parle pas du jeu d’échecs !
Pour la petite histoire, un « grec » désignait au XIXème siècle un tricheur professionnel.

Et pour le jeu d’échecs ? J’y arrive…

Ferdinand Bloch - Types du Boulevard - Paris (Source Gallica)

Dans le livre « Types du Boulevard », un écrivain méconnu, Ferdinand Bloch, trace différents portraits de personnages typiques des boulevards parisiens de la fin du XIXème siècle. Curieusement le livre n’est pas daté, mais la BNF nous apprend que la production littéraire de Ferdinand Bloch va essentiellement de 1890 à 1910, d’où mon estimation.
 
Dans un style souvent humoristiques et parfois en vers, une trentaine de figures parisiennes sont décrites : Le monsieur qui va aux premières, le flâneur, la balayeuse, le monsieur qui attend l’omnibus, le buveur de bière pour lequel il termine ainsi

(…) Le lendemain, comme la veille,
On peut le voir, au même endroit,
Dans une attitude pareille,
Recommencer le même exploit.


etc. Bref, parmi ces portraits, se trouve une description sur deux pages d’un joueur d’échecs (à partir de la page 69 du livre).
 


Ce chapitre sur le joueur d’échecs (de boulevard) fait référence très probablement au Cercle Philidor.
En 1895 le Cercle Magenta, situé au Café du Globe, 8 boulevard de Strasbourg, change de nom et devient le Cercle Philidor. C’est un des 3 lieux emblématiques du jeu d’échecs à Paris à la fin du XIXème siècle, avec le Café de la Régence et le Grand Cercle et Cercle des échecs de Paris.

A cette époque, une partie d’échecs se joue essentiellement avec un enjeu, quelques centimes ou quelques francs. Là, notre joueur intéressé n’hésite pas à consulter un carnet de notes durant la partie s’il est embarrassé. Une tricherie à l’ancienne, que j’ai vu dans les années 1980 dans un tournoi.
Un joueur avait été surpris dans les toilettes en train de consulter une partie dans la revue yougoslave l’Informateur. Autre époque, autre méthode de triche…

Voici le texte de Ferdinand Bloch

Le joueur d’échecs

Le joueur d'échecs frise la cinquantaine, souvent même il l'a défrisée.
Vêtu toujours du même paletot, sorte de redingote à basques, que le temps a marqué de son aile destructive, on le voit, entre une heure et deux heures de l'après-midi, suivre d'un pas toujours égal, la route, toujours la même, qui le conduit au café où il a établi ses assises.
 
Le joueur d'échecs est sobre et économe. 
Au café, sans qu'il ait besoin d'interpeller le garçon, celui-ci lui apporte, dès qu'il est assis, l'unique consommation, qu'il prendra durant la journée, une demi-tasse avec bain de pied — café dans la soucoupe — et un petit verre d'eau-de-vie. 

Quand le joueur d'échecs engage une partie, à cinquante centimes ou à un franc, avec un nouveau venu, il étudie minutieusement le jeu de son adversaire, et s'il se trouve embarrassé, il prétexte le besoin de s'absenter pendant un instant et va, dans une pièce voisine, consulter un carnet dont il ne se dessaisit jamais, et sur lequel sont notés tous les coups possibles. 

Le joueur d'échecs a conservé l'extrême courtoisie qui régnait a l'époque où les échecs étaient le jeu favori des grands seigneurs. Jamais il ne se laisse aller à un mouvement d'humeur, jamais il ne prononce une parole acerbe. 

Dès que la partie est terminée et que le joueur d'échecs a empoché l'enjeu de son adversaire, il salue celui-ci cérémonieusement et se met à la recherche d'un nouveau « pigeon ».
Si un joueur réputé très fort propose une partie intéressée au joueur d'échecs, le joueur d'échecs se plaint d'une migraine violente ou d'un mal d'yeux subit.... 

Quand le joueur d'échecs ne trouve plus d'adversaires au-dessous de sa force, il se fait professeur à trois francs le cachet, et... se laisse battre par ses élèves.



samedi 19 octobre 2024

Entretien avec Herbert Bastian sur le livre : Chapais - Das revolutionäre Schachmanuskript von Gaspard Monge

Herbert Bastian, avec qui j’ai collaboré pour le centenaire de la FFE, vient de publier un travail remarquable (en Allemand), fruit de longues années de recherche, sur le mystérieux manuscrit dit "de Chapais". Vous avez une courte présentation par Oliver Sheppard de ce manuscrit du XVIIIe siècle, consacré aux finales du jeu d’échecs, sur le site internet de l’association dont je suis le président. 
 
 
Voici l’entretien qu’il a donné et qui a été initialement publié en anglais sur le site de la CH&LS (Chess History and Literature Society). Et s'il n'y a qu'une chose à retenir de cet entretien, pour ma part c'est ce paragraphe fondamental :

" (...) Indépendamment de l'identité du véritable auteur, le manuscrit est un chaînon manquant dans l'histoire des échecs. Ceux qui étudient mon livre s'en rendront compte. Il s'est avéré qu'il existait en France au XVIIIe siècle, à côté de Philidor qui dominait tout, un autre auteur qui était au moins égal à lui en termes de capacité d'analyse, voire supérieur en termes de performance globale, selon ma conviction.(...)"
 
Présentation de l’auteur
Herbert Bastian est né en 1952. Après son baccalauréat et le service militaire, il étudie les mathématiques et la physique jusqu'au deuxième examen d'État, puis commence dans la recherche comme collaborateur scientifique dans le domaine de la physique expérimentale, puis comme enseignant dans une école polyvalente. 

Parcours en tant que joueur d'échecs : vainqueur de la coupe d'Allemagne en 1976, 20 fois champion de la Sarre, 27 participations au championnat individuel allemand, 10 ans en Bundesliga pour le club d'échecs de Munich 1836, titulaire d'une licence d'entraîneur A depuis 1986, Maître International depuis 2005, 14 apparitions en tant que joueur national.

Fonctions officielles : Président de l'Association sarroise des échecs de 1992 à 2016, porte-parole des associations régionales de la Fédération allemande des échecs de 2004 à 2011, président de la Fédération allemande des échecs de 2011 à 2017, président honoraire depuis 2023, vice-président de la FIDE de 2014 à 2018, actuellement chargé des relations franco-allemandes par  la fédération allemande des échecs. 2017 Remise de l'insigne d'honneur du Deutscher Olympischer Sportbund, pour la première fois à un joueur d'échecs.

Publications (sélection) : La France et son apport dans le jeu d'échecs en Europe (2022), avec le professeur Frank Hoffmeister et Jean Olivier Leconte, à l'occasion du 100e anniversaire de la Fédération Française des Échecs.
 
Siegfried Schönle
L'intervieweur est un collectionneur de scènes d'échecs dans la littérature allemande et s'intéresse à l'histoire culturelle du jeu.
 
Entretien avec Herbert Bastian

Siegfried Schönle : Tu as consacré environ 10 ans à l'élaboration de ce livre. Peux-tu décrire les grandes lignes de ton parcours depuis le début jusqu'à l’impression du livre ?
 
Herbert Bastian : Eh bien, ce long délai s'explique notamment par le fait qu'au début, j'étais encore en activité professionnelle et impliqué dans plusieurs fonctions bénévoles. De plus, la rédaction du livre sur le centenaire de la Fédération Française des Échecs (2021-2022) et d'autres essais ont entraîné un retard supplémentaire. Les débuts remontent à 1966, mais cela et l'histoire complète peuvent être consultés dans le livre, qui est rédigé en allemand.

La décision de traduire le volumineux manuscrit de Chapais (523 pages, pas de diagrammes) et de le présenter de manière moderne a été prise en 2015 lors d'une visite à Kórnik (Pologne), où j'ai examiné le fonds von der Lasa avec le Dr Michael Negele (Wuppertal, aujourd'hui Lübeck) et Tomasz Lissowski (Varsovie) et où j'ai eu le plaisir de tenir le « Saint Graal » entre les mains.


Un regard sur le manuscrit Chapais (Kórnik, Pologne, 2015)

J'ai tout de suite compris que l'auteur devait être un mathématicien - d'où ma motivation à le suivre à la trace. Il a fallu un an pour transférer le texte sur un ordinateur et un autre pour le traduire.
 
Grâce à des échantillons de manuscrits, j'ai découvert dès 2016 que le mathématicien Gaspard Monge (*1746 ; 1818), qui m'était totalement inconnu jusqu'alors, était un candidat « chaud ». Après avoir fait part de ma découverte à Michael Negele, nous sommes tombés à peu près en même temps, lors d'une soirée mémorable, sur une note de 60 pages de notes de Monge sur le problème de la marche du cavalier, non publiées jusqu'à présent, dans les archives de l'École Polytechnique. J'ai fait numériser ces pages après une visite de la célèbre école. Plus tard, j'ai réussi à établir un lien entre ces notes et le manuscrit de Chapais, dont je parle dans le livre.

Le problème était que l'écriture dans le manuscrit de Chapais ne correspondait pas exactement aux nombreux exemples d'écriture dans la succession de Monge. De plus, ma thèse a été mise en doute de différents côtés et avec différentes critiques. C'est pourquoi j'ai exploré chaque piste, même la plus faible, sans jamais trouver de preuve totalement convaincante, mais sans jamais non plus trouver de véritable réfutation. 

Les indices sont maintenant convaincants pour moi, et il y a eu des sous-produits passionnants. Ainsi, j'ai ainsi découvert beaucoup de choses nouvelles sur Philidor (Schach 8/2019, p. 40-50), et j'ai pu, après 6 mois de recherches intensives, découvrir quelque chose d'essentiel sur Montigny, l'auteur anonyme des Stratagèmes de 1802 (Schach 8/2020, p. 32-42). 

De plus, on connaît maintenant l'histoire du fameux problème du maréchal de Saxe. Il s'agit apparemment d'un type de problème publié pour la première fois par Gianutio (1593/1597), qui chiffrait en fin de compte un plan de bataille et servait à l'entraînement de la pensée stratégique chez les militaires. J'ai même trouvé des preuves que ce problème d'échecs aurait pu influencer la planification de la bataille d'Austerlitz par Napoléon.
 
La position préférée du maréchal de Saxe
 
Les documents originaux de Mézières ont été transférés à Metz en 1793, lorsque l'école y a été transférée. De là, les Prussiens auraient emporté les documents à Berlin après la guerre de 1870, où ils ont été victimes d'un bombardement pendant la Seconde Guerre mondiale. Malgré tout, j'ai bon espoir que l'on trouve encore quelque chose un jour, peut-être dans les archives du ministère français de la Défense ou dans les archives maçonniques. Les divergences mentionnées entre les manuscrits s'expliquent. Le manuscrit de Chapais est conçu comme une calligraphie minutieuse, si l'on entre dans les détails, on trouve des habitudes similaires chez Monge et Chapais. Cela m'a pris beaucoup de temps pour trouver la solution. 

Mes conclusions ne seront pas totalement convaincantes, les analyses sont trop compliquées pour cela. J'ai moi-même dû comprendre la typographie française du XVIIIe siècle avant de comprendre les habitudes de l'auteur. Mais si l'on considère l'ensemble des connaissances, je pense que les indices sont suffisants pour dire que l'auteur du manuscrit est Gaspard Monge.
 
Siegfried Schönle : Quelle a été ta question principale au cours de ces longues années et surtout, quelle a été ta motivation personnelle et de fond ?

Herbert Bastian : Le premier à avoir présenté le manuscrit est le collectionneur français Dr Jean Mennerat (*1917 ; 2007) lors de la conférence Lasa de Kórnik en 2002 ; il a été traduit par le Dr Harald Balló, sur le site duquel j'ai découvert la première référence vers 2008. Mennerat a dit que l'on ne pourrait vraiment juger de la valeur du manuscrit que lorsqu'on en aurait fait une présentation contemporaine. Il qualifiait cela de "travail de bénédictin" en raison de la notation singulière et difficilement maniable, ce que Harald traduisait par "Pferdearbeit (travail de cheval)" avec l'assentiment de Mennerat.

Je considérais ce "travail de cheval" comme un défi que je voulais relever. Sur le plan du contenu, j'étais surtout attiré par la théorie de Chapais de la finale Roi et deux cavaliers contre Roi et pion, qui n'existait pas encore avant lui. Ce que j'ai découvert ensuite était si passionnant que je ne pouvais plus m'arrêter. Cela concerne aussi bien le contenu proposé par Chapais que l'étude des racines historiques de ses thèmes. Et bien sûr aussi la personne de Gaspard Monge, l'une des personnalités les plus intéressantes de la France du XVIIIe siècle, qui m'était totalement inconnue auparavant.
 
Gaspard Monge
 

Siegfried Schönle : Le contenu est caractérisé de manière assez grossière par « la théorie des fins de parties ». Tu peux certainement donner des informations plus détaillées aux lecteurs ! 

Herbert Bastian : Chapais explique au début qu'il n'a pas voulu écrire un livre d'échecs, mais seulement donner à ses amis des réponses à des questions sur les finales « qui présentent des difficultés ». Je suppose que ce cercle d'amis était la loge maçonnique fondée en 1765 à l'École du génie (école d'élite pour les ingénieurs militaires) à Mézières. Le manuscrit a été conçu avant 1772 et soigneusement couché sur papier de 1772 à 1777, en plusieurs phases de travail que j'ai identifiées. Il commence par une définition de la notion d'opposition, issue de l'astronomie, dérivée d'une finale à 2 pions contre 1 seul, souvent réimprimée par la suite.
 
C'est à partir de cette position que Chapais a développé son concept d'opposition.
 
Le terme est ensuite repris par les amateurs parisiens en 1775 et diffusé dans une version plus simple, mais il est certainement dû à Chapais. Lui-même ou l'un de ses amis l'a ensuite utilisé dans le Café de la Régence à Paris. Chapais a également découvert et utilisé le mouvement du roi multifonctionnel, bien avant Réti. Les finales les plus importantes, et de loin pas les seules, sont Tour contre Cavalier, Dame contre Tour, Roi et deux Cavaliers contre Roi et Pion et enfin Roi, Tour et Fou contre Roi et Tour.

Dans ce dernier cas, pour lequel il avait utilisé l'ouvrage de Lolli (1763), il a démontré que la conclusion de Philidor selon laquelle la finale est toujours gagnée par la partie la plus forte est fausse. Une grande place est également accordée aux solutions du problème de la marche du cavalier, précédemment affiné scientifiquement par Euler. Le travail d'Euler fut publié en 1766 et connu en France à partir de 1767.

Siegfried Schönle : L'auteur du manuscrit m'est probablement totalement inconnu, et je ne suis pas le seul. Qui est-il, qu'as-tu pu trouver à son sujet dans les archives ?

Herbert Bastian : Avant mes publications, on ne disposait que de quelques indications sur la vie de Chapais. Il se qualifiait lui-même de « négociant à Paris ». En outre, il était clair qu'il devait être instruit. Mennerat n'a rien trouvé sur lui dans les archives, et il en a été de même pour Harrie Grondijs et moi-même.

Aujourd'hui, je suis certain que Chapais est un pseudonyme derrière lequel se cache le célèbre mathématicien, physicien et homme politique Gaspard Monge, fondateur de l'École polytechnique et ami intime de Napoléon, dont il fut le directeur scientifique lors de la campagne d'Égypte. C'est à cette occasion que Monge a expliqué pour la première fois comment se produit un mirage. Dans mon livre, on peut lire sur une centaine de pages tout ce que j'ai découvert sur lui. Il n'y a toutefois pas de preuve directe, de sorte que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour dissiper les derniers doutes.
 
Siegfried Schönle : À qui tes résultats de recherche peuvent-ils servir ou être utiles ? Quelle est l'importance de ton livre dans le contexte de la recherche sur l'histoire des échecs ?

Herbert Bastian : Lorsque l'on se lance dans un tel projet, on apprend d'abord soi-même énormément. Cela se répercute sur les autres et, dans le meilleur des cas, les incite à se lancer dans une tâche. C'est une source de joie et de qualité de vie.

Dans mon cas, on a découvert quelque chose sur Gaspard Monge qui était totalement inconnu jusqu'à présent, et ce même si ma thèse s'avérait fausse, car j'ai beaucoup écrit sur son environnement historique, et il reste ses solutions au problème de la marche du cavalier que j'ai décryptées et qui n'avaient pas encore été publiées. En tout cas, la biographie de cet éminent scientifique s'en trouve élargie.

Indépendamment de l'identité du véritable auteur, le manuscrit est un chaînon manquant dans l'histoire des échecs. Ceux qui étudient mon livre s'en rendront compte. Il s'est avéré qu'il existait en France au XVIIIe siècle, à côté de Philidor qui dominait tout, un autre auteur qui était au moins égal à lui en termes de capacité d'analyse, voire supérieur en termes de performance globale, selon ma conviction.

Les découvertes sur le réseau de Monge et sur les coopérations internationales ont considérablement élargi ma vision du XVIIIe siècle, le siècle des Lumières. Ceux qui liront ces passages de mon livre verront la France d'un œil nouveau. Bien entendu, les praticiens ont également tout à gagner à étudier les nombreuses finales. Même les entraîneurs peuvent en tirer profit s'ils se penchent sur la didactique de l'auteur. Monge avait une excellente réputation en tant qu'enseignant et professeur d'université, cet aspect correspond également à la démarche du manuscrit Chapais qu'il aura écrit dans sa jeunesse. Il avait été nommé professeur de physique à l'âge de 16 ans en raison de ses compétences particulières.
 
Siegfried Schönle : En règle générale, les collectionneurs et les bibliophiles ont des exigences en matière de présentation du livre. Dis quelque chose sur la mise en page, la reliure, etc.

Herbert Bastian : Tous mes interlocuteurs étaient d'accord avec moi pour dire que l'œuvre de Chapais méritait une mise en page appropriée. C'est pourquoi j'ai collaboré avec Ulrich Dirr, qui avait déjà réalisé la mise en page des différents volumes de la biographie de Lasker.

Je trouve la mise en page très réussie, la reliure en toile noire avec impression dorée, appréciée de tous jusqu'à présent, ainsi que le papier fin complètent l'impression. Le livre comporte des pages d'essai et, à la fin de l'ouvrage, environ 40 illustrations originales en couleur, ce qui permet au lecteur de se faire une bonne idée de ce dont il s'agit.

En outre, il propose des index très complets de la littérature, des noms et des mots-clés. Nous avons consacré deux ans à la conception de la mise en page et aux corrections, de sorte que le nombre d'erreurs restantes devrait être faible. Un bémol toutefois : le prix élevé, qui est loin de couvrir les coûts de production. Sans les dons généreux d'amis bienveillants qui ont reconnu la valeur historique, le projet n'aurait pas pu être réalisé avec cette qualité.
 
La figure du bas montre le "plan de bataille" du maréchal de Saxe.
 
Siegfried Schönle : La maison d'édition Exzelsior Berlin est connue au moins parmi les amateurs d'échecs allemands. Un ouvrage aussi volumineux nécessite de nombreuses discussions avant d'être imprimé. Donne-nous un aperçu de cet aspect de la fabrication d'un livre, s'il te plaît.

Herbert Bastian : Ma première publication a eu lieu dans Schach 10/2017, p. 32-43. Raj Tischbierek, le rédacteur en chef de Schach, a tout de suite reconnu le caractère "explosif" du sujet et m'a toujours soutenu amicalement depuis. Il a toujours été clair que ma conception - présentation complète des résultats de mes recherches, impression de haute qualité - ne permettrait pas d'obtenir un succès commercial. Ce qui m'intéressait, c'était la cause, pas l'argent. C'est pourquoi j'ai pris en charge les frais de mise en page et d'impression restants après les dons, et donc l'intégralité des risques. Afin de minimiser les pertes prévisibles, le livre ne peut pour l'instant être commandé que par mon intermédiaire, et c'est l'imprimerie qui le livre.

J'ai été en contact permanent avec Ulrich Dirr pour la réalisation de la mise en page. Comme il est un entraîneur d'échecs compétent et un collectionneur de livres d'échecs, il a pu me donner de nombreuses indications qui ont complété mon travail. J'ai moi-même réalisé les innombrables diagrammes et repères.
Frank Hoffmeister, qui m'a toujours accompagné amicalement pendant toutes ces années, m'a posé des questions et m'a toujours encouragé à terminer l'ouvrage. C'est au Dr Michael Negele que je dois d'avoir pu pénétrer aussi profondément dans l'histoire des échecs. Le livre rend hommage à sa contribution.

Enfin, je dois remercier la Société Emanuel Lasker en la personne de l'infatigable Thomas Weischede, qui m'a considérablement aidé à financer la mise en page. Je remercie également Kathleen Kremp de la ELG pour la tenue des comptes. Enfin, et ce n'est pas le moins important, je remercie la CH&LS pour son soutien, que je retourne à ses membres sous la forme d'une réduction de prix.
 
L'ouvrage comporte deux parties, avec un total de 32 chapitres sur 832 pages. La première partie contient une traduction complète des 19 chapitres du manuscrit, complétée par environ 700 diagrammes et notes historiques, respectivement sur l'origine des thèmes traités par Chapais. La deuxième partie contient des compléments et des analyses sur l'ordre chronologique des ensembles de pages reliées entre elles, dérivées d'études typographiques. Il en résulte que certains ensembles de pages ont été remaniés après la réalisation de la version originale (1772-1773) et ont remplacé les pages originales.

Dans la deuxième partie, on trouve également une biographie complète de Monge et des considérations sur son environnement échiquéen. Qui aurait su, par exemple, que les célèbres physiciens Coriolis et Ampère, qui enseignaient à l'École polytechnique, étaient des joueurs d'échecs passionnés ? L'ouvrage se termine par une comparaison des profils de Chapais et de Monge.

Enfin, je tiens à préciser que l'épouse de Monge, Catherine Huart, n'est décédée qu'en 1846, à l'âge de 99 ans. Cela pourrait expliquer pourquoi le manuscrit n'est apparu qu'en 1854 ou 1855 et a été acquis par von der Lasa. C'est l'une des nombreuses pièces de la mosaïque qui, à mes yeux, donne une image claire de la situation.

Siegfried Schönle : Cher Herbert, merci beaucoup pour tes réponses détaillées, utiles et informatives. Je suppose, et je ne dis pas cela à la légère, que tes réponses seront utiles aux futurs lecteurs du livre.
 

Données bibliographiques Herbert Bastian, Chapais - Das revolutionäre Schachmanuskript von Gaspard Monge, Exzelsior Verlag, Berlin, 2024, 832 pages, reliure en toile, prix 99,- € (pour les membres de CH&LS 79,- €), plus frais de port et d'expédition. Commande uniquement auprès de l'auteur par e-mail à herbertbastian@freenet.de, livraison par l'imprimerie.
 
Extraits