vendredi 4 novembre 2022

Deux beaux dessins d'une partie vivante

Au cours de mes recherches j'ai découvert deux beaux dessins qui représentent le même évènement : une partie d'échecs vivante qui s'est jouée aux États-Unis en 1904. Les deux dessins ont été publiés dans la presse Française (Le Petit Journal supplément illustré et L'illustration), c'est ce qui me permet de justifier leur publication sur ce blog qui se consacre essentiellement au Café de la Régence et au jeu d'échecs en France jusque dans les années 1950 :-)
 
A noter que j'ai cherché en vain la mention de cette partie dans la revue La Stratégie de 1904. Si quelqu'un a plus d'informations je suis preneur !
 
Ce type d'évènement, une partie d'échecs vivante, reste assez rare, notamment en France, mais on peut citer celle du 20 mai 1923 à Compiègne. Vous avez ici un article d'Alain Barnier au sujet de cette partie de Compiègne, ou bien sur le site Héritage des Échecs Français, par Dominique Thimognier, avec les très belles photos provenant de Gallica, le site de la BNF.

Voici tout d'abord le dessin paru dans le supplément illustré du Petit Journal du dimanche 17 juillet 1904.
 
Le dessin est annoncé la veille sous le titre "FANTAISIE DE MILLIARDAIRE Une partie d'échecs vivants" - Le Petit Journal du 16 juillet 1904
 

Source Gallica - Supplément du Petit Journal du 17 juillet 1904
Vous pouvez noter que la case en bas à gauche de l'échiquier est ... blanche... une erreur classique...
Mais cela ne retire rien à l'intérêt esthétique du dessin.
 
Et dans L'Illustration du 30 juillet 1904, nous avons un dessin différent du même évènement.

Cette fois-ci l'échiquier est bien orienté :-)
 
Voici le texte qui accompagne le dessin dans L'Illustration
 
 ECHECS ANIMES

Ils sont souverainement injustes envers les Américains richissimes, ceux qui leur dénient, en bloc, toute espèce de goûts artistiques et les croient exclusivement occupés à supputer des chances de gains ou de pertes, à combiner des opérations financières compliquées—et désastreuses... pour d'autres. Il est, chez eux comme chez nous, un temps pour tout, selon la parole de l'Ecclésiaste, et on en rencontre d'accessibles à des idées de grâce ou même de beauté.

L'un d'eux, et non des moins notoires, M. George J. Gould, le propre fils et l'héritier du « Roi des chemins de fer », vient d'en donner une preuve quand il offrait, récemment, à une foule d'invités, le spectacle original et pittoresque d'une partie d'échecs animés.

C'était au château de Lakewood, à Long Island. dont M. Jules Huret, dans son récent volume, nous détaillait, d'une plume extasiée, les splendeurs un peu insolentes tout de même.

Là, au beau milieu d'un parc louis-quatorzième. tout naturellement. et qui rappelle de son mieux Versailles, mais un Versailles sans noblesse, malgré ses marbres, ses bancs, ses vases acquis à prix d'or et ornés d'étiquettes indiquant leur provenance, presque leur prix, un Versailles sans ombrages, trop jeune,  M. George J. Gould a aménagé un « palais des sports », le Georgian court, qui parait être la partie de son domaine qu'il affectionne entre toutes. Son bureau y est installé, son bureau rempli d'appels de téléphone, aux murs sillonnés de fils électriques, et tout autour, une vraie cité sportive avec tennis de chambre, piscine. bains turcs, jeu de paume, garage pour automobiles, bien entendu, et pourtant un manège immense, où deux ou trois attelages de coaches peuvent rouler de front.

Ce manège était le champ clos de l'extraordinaire partie d'échecs que notre dessin montre à son début.

On y avait dressé un vaste plancher bariolé des soixante-quatre cases alternativement blanches et noires de l'échiquier. A chaque extrémité, sur une estrade très surélevée, drapée aux couleurs américaines, se tenaient les deux partenaires, le docteur Charles L. Lindley et le professeur T.-M. Roser. Et trente-deux jeunes gens splendidement costumés, à la mode du quinzième siècle, les rois et les reines couronnés en tête, en de longs manteaux drapés, les autres pions en chevaliers armés de pied en cap. avec le bouclier au bras, la lance ou la hallebarde au poing, ou encore portant les emblèmes de leurs figures, se mouvaient à leurs ordres sur le champ de l'échiquier monstre.

Deux hérauts d'armes sonnant de la trompette annonçaient chaque coup. Et le joueur, alors, commandait le mouvement à exécuter. Sans doute, pour quelques-uns de ces figurants en brillants atours, l'immobilité dut être longue, le jeu peu récréatif. Mais peut-être aussi étaient-ils abondamment dédommagés en dollars sonnants de ces moments d'ennui, à moins qu'ils ne goûtassent, à figurer ainsi, les joies que procure aux acteurs mondains un rôle même effacé dans une comédie de société.

Enfin, la partie s'acheva et les pièces du vaincu allèrent se prosterner devant le vainqueur qui, du geste même d'Auguste, leur signe de se relever.

La mise en scène était fort bien réglée, les atours somptueux, et ce long tableau vivant obtint, auprès des invités de M. George Gould un succès énorme, un succès tel que le Club des femmes joueuses d'échecs à New-York va organiser bientôt une fête pareille.
 
La Vérité – 27 juin 1904 - Retronews
 
Cet évènement est une fantaisie de milliardaire, comme l'indique le Petit Journal et comme cela apparait dans la presse de l'époque, par exemple dans le journal La Vérité du 27 juin 1904.

Fantaisie de milliardaire :

M. Jay Gould vient d'organiser dans sa propriété du Lakewood (New-Jersey) une partie d'échecs vivants.
Les deux partenaires étaient M. Charles Lindley et le professeur Roser. Les figures étaient représentées par trente-deux garçons en somptueux costumes du XVe siècle. Les « tours », par exemple, étaient figurées par des chevaliers équipés de pied en cape.
Deux hérauts, en costume historique, ont annoncé le commencement du jeu par une sonnerie de trompettes. A la fin de la partie, les « figures » du vaincu allèrent s'agenouiller devant le vainqueur qui, d'un geste, les autorisa à se relever.
Cette joute d’échecs, dont les frais de costumes seuls s'élèvent, parait-il, à la bagatelle de 100.000 francs, a eu un succès tel qu'elle aura prochainement sa réédition à New-York.
Voilà une partie d'échecs où il n'y avait pas qu'un fou.

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