Une des énigmes du Café de la Régence concerne la présence à un moment donné du célèbre automate Turc joueur d'échecs. Il s'agit de ce que j'appelle le mystère numéro 4 du Café de la Régence.
Certes, plusieurs joueurs de la Régence ont animé le Turc (Mouret et Boncourt par exemple) ou plus tard d'autres automates joueur d'échecs comme Ajeeb ou encore Mephisto animé par Jean Taubenhaus (lors de l'exposition universelle à Paris en 1889), mais dans toutes les sources que j'ai pu consulter il n'a jamais été fait mention de la présence d'un automate joueur d'échecs dans le sanctuaire des échecs.
Par contre ma curiosité fut piquée quand j'ai découvert cette annonce du 18 janvier 1846 dans le journal Le Constitutionnel (Source Retronews) :
D'autres journaux, L'Esprit Public ou encore Le Tintamarre du même jour porte la même réclame.
Ce jour-là, la foule a du se presser au Café de la Régence pour observer ces automates.
Je vous invite à lire l'article très complet et de qualité sur Wikipedia au sujet du Canard de Vaucanson.
Un célèbre automate du XVIIIe siècle.
Pour revenir au Café de la Régence, voici à quoi il ressemblait vu de l'extérieur à cette époque.
Une gravure assez connue, que j'ai déjà utilisée, parue dans le livre Tableaux de Paris, d'Edmond Texier - 1852.
Voici également un croquis que j'ai déjà publié et qui date de (circa) 1853 juste avant la destruction du Café de la Régence.
Recueil de dessins – Expropriations de 1852 – 1854 pour le prolongement de la rue de Rivoli
Gabriel Davioud (1823-1881), architecte, inspecteur général des travaux d’architecture de la Ville de Paris. Source : archives numérisées des bibliothèques Parisiennes.
Une note manuscrite nous indique que l’enseigne du Café de la Régence est grise et que les lettres formant les mots « Café de la Régence » sont rouges...D'où ce magnifique coloriage de ma part :-)
En tout cas, à cette époque le premier étage du Café de la Régence est la propriété de Claude Vielle, également propriétaire du Café de la Régence. Il y héberge le Cercle des Échecs de Paris. Est-ce dans le grand salon du Cercle, là où s'est joué le match entre Saint-Amant et Staunton en fin d'année 1843 que se déroule l'exhibition ? Je n'ai pas encore la réponse à cette question.
Pour revenir à ce célèbre canard, la presse de l'époque a déjà annoncé, quelques jours avant, son arrivée à Paris
Jacques Vaucanson (1709 - 1782), tableau daté de 1784 (donc peint après sa mort par Joseph Boze)
Le Journal des débats du 7 janvier 1846 (Retronews)
LE CANARD DE VAUCANSON.
On parle depuis quelques jours de l'arrivée récente à Paris du fameux Canard de Vaucanson, oublié depuis près d'un siècle, et dont les pièces, désunies et délaissées faute d'un artiste capable de restituer le chef-d’œuvre du maître, viennent, après quatre ans de travail, de recherches et de fatigues inouïes, d'être enfin reconstituées.
On sait qu'après l'exhibition faite par Vaucanson lui-même, en 1738, de son canard automate, cette pièce importante avait passé en Allemagne avec d'autres mécaniques inférieures, telles que le joueur de flûte, le joueur de chalumeau, etc. Eh bien! ce canard automate que des millions ne pourraient payer, cette nature pour ainsi dire vivante, qui barbote, qui bat des ailes, qui chante, qui mange, qui digère, dont tout le corps, dont chaque plume éprouve le frémissement de la vie, tout cela était oublié chez un hôtelier; mais alors c'était la nature morte.
Rachetée enfin par l'ingénieur habile qui lui a rendu la vie, cette merveille est arrivée, et Paris va voir bientôt, dans toute la nouveauté de sa résurrection, ce nec plus ultra de la mécanique du dernier siècle et du nôtre.
Le canard de Vaucanson
Schéma du « Canard digérateur »
Jacques Vaucanson (1709-1782), auteur, 1739.
BnF, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, SMITH LESOUEF R- 6185 (2)
Inventeur et mécanicien français, Jacques Vaucanson est célèbre pour ses automates qui reproduisent les êtres vivants. En 1738, il présente un « Joueur de flûte » de 1,50 m qui joue de la musique comme un humain, avec des mouvements de lèvres, de doigts, et le contrôle du souffle.
Plus sophistiqué, le « Canard digérateur » bouge les ailes, cancane, ingère des graines et les « digère » aussi, avec un réalisme caractéristique du courant pédagogique de l’époque.
Le mécanisme, placé dans l’imposant piédestal, est visible par tous, dans le but de montrer la complexité du travail accompli. La digestion relève de l’exploit : le canard semble rendre ce qu’il a avalé après une véritable digestion !
Au-delà de l’effet de salon, la conception d’automates marque une étape importante dans la mécanisation, qui ouvre des perspectives pour l’industrie naissante au XVIIIe siècle.
Titre : Canard présumé de Vaucanson
Légende : Dispositif du canard digérateur présumé de Jacques de Vaucanson
Milieu du XIXe siècle - Source : photothèque des arts et métiers
Le canard semble bien déplumé...
Parmi tous les articles concernant le canard, je n'en ai trouvé qu'un seul qui mentionne l'éléphant, l'autre automate de la réclame du début de cet article. Celui-ci n'a le droit qu'à une seule petite ligne, tant il doit faire pâle figue à côté du canard de Vaucanson.
Journal La Presse du 19 janvier 1846 (Retronews)
Le canard de Vaucanson.
Il n'est pas que vous n'ayez entendu parler quelquefois du canard de Vaucanson ; vous le connaissez, ne fût-ce que par l'annonce si opiniâtrement répétée sur les prospectus de librairie d'un roman de ce nom que devait écrire notre ami Gérard de Nerval, et dont sa paresse occupée et rêveuse nous privera probablement longtemps encore ; et vous vous êtes sans doute demandé ce qu'était devenu ce fameux canard, chef-d’œuvre de mécanique si admiré par le dix-huitième siècle.
— La mode des automates passée, le canard illustre se vit peu à peu délaissé, la poussière de l'oubli s'entassa de plus en plus épaisse sur ses plumes; de l'armoire, il fut relégué au grenier, et là, sentant d'année en année se détendre dans son ventre les ressorts de sa vie factice, il put réfléchir au néant de la gloire, aussi fallacieuse pour les héros que pour les automates.
Il vient d'être retrouvé dans une petite ville de Suisse ou d'Allemagne, et payé douze cents francs à son propriétaire. Ce qu'il a fallu de soins et d'argent pour remettre en état son anatomie intérieure détraquée ; on se l'imagine aisément. Cette reconstruction n'a pas celé moins de quarante mille francs; et cela n'étonnera personne, si l'on songe que Vaucanson avait eu dans ce canard l'ambition de rivaliser avec la nature et de simuler la vie.
Son canard faisait kan-kan comme s'il fût sorti d'une mare, mangeait, digérait et le reste, à la grande surprise des assistants, dont l'admiration augmentait encore lorsque l'automate, dépouillé de sa peau, permettait d'apprécier la quantité de roues; d'engrenages, de ressorts, de fils de rappels, de volants et de contrepoids nécessités par ses fonctions si diverses.
Le canard de Vaucanson se fait voir sur la place du Palais-Royal, au-dessus du café de la Régence. Comme autrefois il bat des ailes, écarte les plumes de sa queue avec ce frétillement joyeux, particulier aux palmipèdes de son espèce, tourne la tête à gauche et à droite, fait claquer son bec pour détruire les parasites qu'attire la tiédeur de son duvet, courbe son col avec grâce et prend dans la mangeoire des gorgées de grain mouillé qu'il avale avec une gloutonnerie bien imitée.
La déglutition achevée, la digestion commence et bientôt l'on en fait passer sûr un plat d'argent les résultats au public. — O belles lectrices, brûlez ici une de ces pastilles aromatiques, faites fumer une de ces cassolettes dont M. Debay donne la recette dans son traité des Parfums et des Fleurs. N'est-il pas regrettable qu'un homme de la force de Vaucanson ait usé tant de patience et de génie pour faire commettre une incongruité à un canard de bois !
Avec le canard on montre aussi un éléphant qui rentre dans les vulgarités des pièces mécaniques.
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